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DEUXIÈME ENNÉADE.

Il semble que l’étendue, quelque part qu’elle soit, est donnée aux corps par la matière. De même que les actions, les effets, les temps, les mouvements, quoiqu’ils n’impliquent aucune matière, sont cependant des êtres, il semble que les corps élémentaires n’impliquent pas nécessairement une matière [sans étendue], mais qu’ils sont des êtres individuels, dont la substance diverse est constituée par le mélange de plusieurs formes. Cette matière sans étendue paraît donc n’être qu’un mot vide de sens.

[Voici la réponse que nous ferons à cette objection] :

D’abord tout réceptacle n’est pas de toute nécessité une masse, à moins qu’il n’ait déjà reçu l’étendue. L’âme, qui possède toutes choses, les contient toutes à la fois. Si elle était étendue, elle posséderait toutes choses dans l’étendue. Aussi la matière reçoit-elle dans l’étendue tout ce qu’elle contient, parce qu’elle est susceptible d’étendue. De même, dans les animaux et les végétaux, à l’accroissement et à la diminution de la grandeur correspondent un accroissement et une diminution de la qualité. On aurait tort de prétendre que la grandeur est nécessaire à la matière parce que, dans les objets sensibles, il existe préalablement une grandeur sur laquelle s’exerce l’action du principe qui les forme : car la matière de ces objets n’est pas la matière pure, mais telle ou telle matière[1]. La matière pure et simple doit recevoir d’un autre principe son étendue. Donc le réceptacle de la forme ne saurait être une masse ; en recevant l’étendue, il reçoit encore les autres qualités. La matière est l’image de l’étendue, parce qu’étant matière première elle possède l’aptitude à devenir étendue. On se représente la matière comme une étendue vide ; aussi quelques philosophes ont-ils avancé que la matière est la même chose que le vide. Je le répète donc : la matière est l’image de l’étendue, parce que l’âme, ne pouvant rien déterminer quand elle con-

  1. C’est la matière propre d’Aristote. Voy. plus haut, p. 206, note 1.