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LIVRE QUATRIÈME.

jours la forme des choses, parce qu’elle supporte avec peine l’indéterminé, parce qu’elle semble craindre de sortir de l’ordre des êtres et de s’arrêter longtemps au non-être.

XI. Pour composer les corps, nous dira-t-on, faut-il autre chose que l’étendue et toutes les qualités[1] ? — Oui : il faut un sujet qui les reçoive. Ce sujet n’est pas une masse : car si c’était une masse, ce serait une étendue. — Si ce sujet n’a pas d’étendue [objectera-t-on encore], comment est-il un réceptacle ? Sans étendue, à quoi sert-il, s’il ne contribue ni à la forme et aux qualités, ni à la grandeur et à l’étendue ?

  1. Plotin parait développer dans ce paragraphe et dans les suivants les idées d’Aristote sur la nature de la matière : « Nous avons donné une définition figurée de la substance en disant que c’est ce qui n’est point l’attribut d’un sujet, ce dont tout le reste est attribut. Mais il nous faut mieux que cette définition ; elle est insuffisante et obscure, et de plus, d’après cette définition, la matière devrait être considérée comme substance ; car si elle n’est pas une substance, nous ne voyons pas quelle autre chose aura ce titre : si l’on supprime les attributs, il ne reste rien que la matière. Toutes les autres choses sont, ou bien des modifications, des actions, des puissances des corps, ou bien, comme la longueur, la largeur, la profondeur, des quantités, mais non des substances. Car la quantité n’est pas une substance : ce qui est substance, c’est plutôt le sujet premier dans lequel existe la quantité. Supprimez la longueur, la largeur, la profondeur, il ne reste rien absolument, sinon ce qui était déterminé par ces propriétés. Sous ce point de vue, la matière est nécessairement la seule substance ; et j’appelle matière ce qui n’a, de soi, ni forme, ni quantité, ni aucun des caractères qui déterminent l’être : car il y a quelque chose dont chacun de ces caractères est un attribut, quelque chose qui diffère, dans son existence, de l’être selon toutes les catégories. Tout le reste se rapporte à la substance ; la substance se rapporte à la matière. La matière première est ce qui, en soi, n’a ni forme, ni quantité, ni aucun autre attribut. » (Métaphysique, VII, 3 ; t. II, p. 8 de la trad.) Dans le liv. vi de l’Ennéade III (De l’Impassibilité des choses incorporelles, § 7-19), Plotin revient sur les idées qu’il expose ici, et s’applique spécialement à démontrer que la matière est immuable parce qu’elle n’a ni quantité ni qualité.