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LIVRE QUATRIÈME.

telligence (ἄνοια), ou plutôt elle se forme de la matière une image bâtarde, illégitime, provenant de l’autre, qui n’est pas vrai, et composée avec l’autre raison[1]. Voilà pourquoi Platon a dit que la matière est perçue par un raisonnement bâtard (λογισμῷ νόθῳ)[2]. En quoi consiste l’indétermination de l’âme ? Est-ce dans une ignorance absolue, une absence complète de toute connaissance ? Non : l’indéterminé de l’âme implique quelque chose de positif [outre quelque chose de négatif]. Comme l’obscurité est pour l’œil la matière de toute couleur invisible, l’âme, en faisant abstraction dans les objets sensibles de toutes les choses qui en sont en quelque sorte la lumière, ne peut déterminer ce qui reste alors, et, de même que l’œil dans les ténèbres [devient semblable aux ténèbres], l’âme devient semblable à ce qu’elle voit. Voit-elle donc alors quelque chose ? Oui, sans doute : elle voit quelque chose qui n’a ni figure, ni

  1. Il y a dans le texte : φάντασμα νόθον ϰαὶ οὐ γνήσιον, ἐϰ θατέρου οὐϰ ἀληθοῦς ϰαὶ μετὰ τοῦ ἑτέρου λόγου συγϰείμενον. Ficin traduit : « Imaginatio circa materiam non legitima est, sed spuria, partim ex altera non vera, partim cum altera ratione composita. » C’est peu intelligible. Voici quelle est la pensée de Plotin : la matière est l’être qui n’est pas véritable, l’autre, θάτερον (§ 16), par opposition à l’être véritable qui est le même. Donc l’image que l’intelligence se forme de la matière provient de l’autre qui n’est pas véritable. De plus, l’être véritable étant connu avec la raison, μετὰ λόγου (Timée, p. 51), l’être qui n’est pas véritable doit être conçu avec l’autre raison.
  2. L’expression de raisonnement bâtard est tirée du Timée (p. 52) : « Il y a [outre l’espèce toujours la même et l’espèce sensible] une troisième espèce, celle du lieu éternel, ne pouvant jamais périr, donnant place à toutes les choses qui reçoivent la naissance, et perceptible elle même, indépendamment des sens, par une sorte de raisonnement bâtard : elle est à peine connue d’une manière certaine ; nous ne faisons que l’entrevoir comme dans un songe, alors nous disons qu’il faut bien que tout être soit nécessairement dans un lieu et occupe quelque place, et que ce qui n’est ni sur la terre, ni dans le ciel, n’est rien. » (Trad. de M. H. Martin, p. 341.)