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DEUXIÈME ENNÉADE.

donc incorporelle[1]. D’ailleurs la quantité n’est pas un quantum (ποσόν) ; un quantum est une chose qui participe à la quantité : nouvelle preuve que la quantité est une forme. De même qu’un objet devient blanc par la présence de la blancheur, et que ce qui produit dans l’animal la blancheur et les diverses couleurs n’est pas une couleur variée, mais une raison variée : de même ce qui produit un quantum n’est pas un quantum, mais le quantum même, ou la quantité même ou la raison. En entrant dans la matière, la quantité l’étend-elle pour lui donner la grandeur ? Nullement : la matière n’avait pas été resserrée. La forme donne à la matière la grandeur qu’elle n’avait pas, comme elle lui imprime la qualité dont elle manquait[2].

X. Comment donc [me direz-vous] concevoir la matière sans quantité ? — Comment [répondrai-je] la concevez-vous sans qualité ? — Mais par quelle conception, par quelle intuition peut-on l’atteindre ? — Par l’indétermination même de l’âme. Puisque ce qui connaît doit être semblable à ce qui est connu[3], l’indéterminé doit être saisi par l’indéterminé. La raison peut être déterminée par rapport à l’indéterminé ; mais le regard qu’elle jette sur lui est indéterminé. Si chaque chose est connue par la raison et par l’intelligence, la raison ici nous dit de la matière ce qu’elle doit nous en dire ; en voulant concevoir la matière d’une manière intellectuelle, l’intelligence arrive à un état qui est l’absence d’in-

  1. Ce passage semble dirigé contre les Stoïciens qui regardaient la matière comme corporelle.
  2. Voy. Enn. II, liv. vii, § 3.
  3. Plotin a déjà cité ce principe, p. 116 de ce volume. On le trouve mentionné par Aristote, qui s’exprime ainsi dans la Métaphysique (III, 4 ; t. I, p. 91 de la trad.) : « C’est le semblable qui connaît le semblable : « Par la terre, dit Empédocle, nous voyons la terre ; l’eau, par l’eau ; par l’air, l’air divin ; par le feu, le feu dévorant ; l’Amitié par l’Amitié, et la Discorde par la Discorde fatale. » Aristote cite encore ces vers d’Empédocle dans le traité De l’Âme (I, 2, 5, II, 5 ; p. 112, 149, 151, 198, de la trad. de M. Barthélemy-Saint-Hilaire).