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DEUXIÈME ENNÉADE.

autres, comme l’argile est la matière relativement au potier sans être la matière absolument[1]. Puisque nous ne considérons pas la matière de tel ou tel objet, mais la matière de toutes choses, nous n’attribuerons à sa nature rien de ce qui tombe sous les sens, aucune qualité, ni couleur, ni chaleur, ni froid, ni légèreté, ni pesanteur, ni densité, ni rareté, ni figure, ni grandeur par conséquent : car autre chose est la grandeur, autre chose être grand ; autre chose est la figure, autre chose être figuré. La matière n’est donc pas une chose composée, mais simple, une par sa nature[2].

  1. Plotin fait allusion à la distinction établie par Aristote entre la matière propre d’un objet déterminé et la matière première : « Quant à la substance matérielle, il ne faut pas perdre de vue que, si tous les objets viennent d’un ou de plusieurs éléments premiers, et si la matière est le principe de tous les êtres matériels, chacun cependant a une matière propre. Ainsi la matière immédiate de la bile est l’amer ou quelque autre chose de ce genre. » (Métaphysique, VIII, 4 ; t. II, p. 76 de la trad.)
  2. Dans cette théorie de la matière, Plotin s’est inspiré à la fois de Platon et d’Aristote. Platon dit dans le Timée (p. 49-52, p. 133 de la trad. de M. H. Martin) : « Il y a trois choses : l’une servant de modèle, intelligible et toujours la même ; la seconde, imitation du modèle, produite et visible... La troisième est le réceptacle et la nourrice de toute génération... Elle reçoit toujours tous les objets sans jamais prendre aucune des formes de ce qui entre en elle ; car elle est le fond commun (ἐϰμαγεῖον) de toutes les natures différentes, elle n’a point d’autres formes ni d’autres mouvements que ceux des objets qui entrent en elle, et c’est à cause d’eux qu’elle paraît être tantôt d’une manière, tantôt d’une autre... L’image devant offrir toutes les apparences les plus diverses, cette chose même dans laquelle elle est formée d’après le modèle serait mal préparée pour cela, si elle n’était dépourvue de toutes les formes qu’elle doit recevoir d’ailleurs... C’est pourquoi nous ne donnerons à la mère et au réceptacle de toutes les choses produites qui peuvent être vues ou senties d’une manière quelconque, ni le nom de terre, ni celui d’air, ni celui de feu, ni celui d’eau, ni les noms des corps qui sont nés de ceux-là, ou par lesquels ceux-là sont produits eux-mêmes ; mais nous pourrons dire avec vérité que c’est une espèce de nature invisible