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LIVRE QUATRIÈME.

Les atomes [de Démocrite][1] ne sauraient non plus remplir le rôle de matière parce qu’ils ne sont rien[2] : car tout corps est divisible à l’infini. On pourrait alléguer encore [contre le système des atomes] la continuité des corps et leur humidité. D’ailleurs il est impossible qu’il existe quelque chose sans l’intelligence et l’âme, qui ne sauraient être composées d’atomes ; il est impossible qu’une autre nature que les atomes produise quelque chose avec les atomes, parce que nul Démiurge ne saurait produire quelque chose avec une matière sans continuité. On pourrait faire et on a fait mille autres objections contre ce système. Mais il est superflu de prolonger cette discussion.

VIII. Quelle est donc cette matière une, continue, sans qualité ? Évidemment elle ne saurait être un corps, puisqu’elle n’a pas de qualité ; si elle était un corps, elle aurait une qualité. Nous disons qu’elle est la matière de tous les objets sensibles, et non la matière des uns, la forme des

  1. Voici quelle était, selon Aristote, la doctrine de Démocrite : « Pour Démocrite, les grandeurs indivisibles sont les substances... Leucippe et son ami Démocrite admettent pour éléments le plein et le vide, ou, pour parler comme eux, l’être et le non-être. Le plein, le solide, c’est l’être ; le vide, le rare, c’est le non-être. C’est pourquoi le non-étre, suivant eux, existe tout aussi bien que l’être ; car le vide existe autant que le corps... Les différences ne viennent, c’est leur langage, que de la configuration, de l’arrangement, de la tournure. » (Métaphysique, I, 4, et VII, 13).
  2. Les objections que Plotin élève ici contre la doctrine des atomes semblent empruntées à des auteurs antérieurs : car Cicéron fait dire par Cotta à l’Épicurien Velleius : « Abuteris ad omnia atomorum regno et licentia. Quœ primum nullœ sunt. Nihil est enim quod vacet corpore ; corporibus autem omnis absidetur locus : ita nullum inane, nihil esse individuum potest. Hæc ego nunc physicorum oracula fundo. Vera an falsa, nescio : sed veri tamen similiora quam vestra. Ista enim flagitia Democriti, sive etiam Leucippi, esse corpuscula quœdam lœvia, alia aspera, rotunda alla, partim autem angulata, curvata quædam et quasi adunca ; ex his effectum esse cœlum et terram, nulla cogente natura, sed concursu quodam fortuito. » (De natura Deorum, I, 24).