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LIVRE QUATRIÈME.

qui deviennent toujours, comme notre monde ; mais ils existent toujours, comme le monde intelligible.

La Différence qui est dans le monde intelligible (ἡ ἑτερότης ἡ ἐκεῖ) y produit toujours la matière : car, dans ce monde, c’est la Différence qui est le principe de la matière, ainsi que le Mouvement premier (ἡ ϰίνησις ἡ πρώτη) ; aussi ce dernier est-il également appelé Différence parce que la Différence et le Mouvement premier sont nés ensemble[1]. Le Mouvement et la Différence, qui procèdent du Premier [du Bien], sont indéterminés et ont besoin de lui pour être déterminés. Or ils se déterminent quand ils se tournent vers lui. Auparavant, la matière est indéterminée ainsi que la Différence ; elle n’est pas bonne parce qu’elle n’est pas encore éclairée par la lumière du Premier. Puisque le Premier est la source de toute lumière, l’objet qui reçoit de lui sa lumière ne la possède pas toujours ; cet objet diffère de la lumière et il la possède comme une chose étrangère puisqu’il la tient d’autrui.

Voilà quelle est la nature de la matière contenue dans les essences intelligibles. Nous l’avons expliquée plus longuement peut-être qu’il n’était nécessaire.

VI. Parlons maintenant du sujet des corps. La transformation des éléments les uns dans les autres démontre qu’ils doivent avoir un sujet. Leur transformation n’est pas une destruction complète ; sinon il y aurait une essence[2] qui irait se perdre dans le non-être. D’un autre côté, ce qui est engendré ne passe pas du non-être absolu à l’être :

  1. Plotin reconnaît six catégories dans le monde intelligible : l’Identité, la Différence (l’Altérité), l’Essence, la Vie, le Mouvement, le Repos. Voy. Enn. V, liv. i, ii ; Enn. VI, liv. ii.
  2. Le mot οὐσία est employé ici dans son sens le plus général, pour signifier l’existence quelle qu’elle soit. Le plus souvent il signifie l’existence absolue et éternelle. Enfin, dans le livre vi de cette Ennéade, Plotin dit que l’essence d’une chose est l’ensemble de ses qualités constitutives.