Page:Plotin - Ennéades, t. I.djvu/338

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
197
LIVRE QUATRIÈME.

— Mais, dira-t-on, dans les êtres qui ne sont pas engendrés, la matière semble inutile. D’où aurait-elle pu venir et passer dans les essences intelligibles ? Si elle a été engendrée, elle l’a été par un principe ; si elle est éternelle, il y aura plusieurs principes ; alors les êtres qui occupent le premier rang seront contingents. Enfin si [dans ces êtres] la forme vient se joindre à la matière, leur union constituera un corps, en sorte que les intelligibles seront corporels.

III. Nous répondrons d’abord qu’il ne faut pas mépriser partout l’indéterminé ni ce que l’on conçoit comme informe, si cela même est le sujet de choses supérieures et excellentes : ainsi, l’âme est indéterminée par rapport à l’intelligence et à la raison, qui lui donnent une forme et une nature meilleure. Ensuite, si l’on dit que les choses intelligibles sont composées [de matière et de forme], ce n’est pas dans le sens où on le dit des corps : les raisons sont composées et produisent par leur acte un autre composé, la nature, qui aspire à la forme[1]. Si, dans le monde intelligible, le composé tend vers un autre principe, ou

  1. Plotin dit plus loin, § 12 : « Les raisons résident dans l’âme. » Les raisons sont dans l’âme ce que les idées sont dans l’intelligence, des essences et des puissances tout à la fois : « Il n’est point d’essence sans puissance, ni de puissance sans essence. Là-haut [dans les idées] la puissance est substance et essence, ou quelque chose de supérieur à l’essence. Il en émane d’autres puissances qui sont moins énergiques et moins vives [les raisons], comme d’une lumière brillante il en émane une autre qui a moins d’éclat ὡς φῶς ἐϰ φωτὸς, ἀμυδρὸν ἐϰ φανοτέρου ; mais des essences sont inhérentes à ces puissances, parce qu’il ne saurait y avoir de puissance sans essence. » [Enn. VI, liv. iv, § 9.) Considérées comme puissances, « les raisons (que Plotin, dans ce cas, appelle souvent raisons séminales, p. 101, note 1) produisent la nature qui aspire à la forme, » c’est-à-dire le principe actif qui aspire à réaliser l’essence dans la matière (principe qui, dans le § 16, est nommé habitude). Considérées comme essences, « les raisons sont composées, » de la même manière que les idées. Voy. la page suivante, note 2. Voy. aussi p. 240, note 2.