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DEUXIÈME ENNÉADE.

suprême n’est que la matière modifiée[1]. En outre, ils font de la matière un corps, et disent qu’elle est un corps sans qualité (ἄποιον σῶμα) ; ils lui attribuent aussi la grandeur (μέγεθος)[2].

D’autres[3] admettent que la matière est incorporelle. Quelques-uns de ces derniers en distinguent de deux espèces : l’une est la substance des corps, cette substance dont parlent les premiers [les Stoïciens] ; l’autre, d’une nature supérieure, est le sujet des formes et des essences incorporelles.

II. Examinons d’abord si cette matière [des essences intelligibles] existe, comment elle existe et ce qu’elle est.

Si l’essence de la matière est quelque chose d’indéterminé (ἀόριστον), d’informe (ἄμορφον), et si dans les êtres intelligibles, qui sont parfaits, il ne doit y avoir rien d’indéterminé ni d’informe, il semble qu’il ne saurait y avoir de matière dans le monde intelligible. Chaque essence, y étant simple, ne saurait avoir besoin de la matière, qui, en s’unissant avec une autre chose, constitue un composé. La matière est nécessaire dans les êtres qui sont engendrés, qui font naître une chose d’une autre : car ce sont de tels êtres qui ont conduit à la conception de la matière[4].

  1. Voy. Cicéron, De natura Deorum, I, 15.
  2. Ce passage de Plotin est cité par Simplicius, Commentaire sur la Physique d’Aristote, p. 50.
  3. Les Pythagoriciens, les Platoniciens, les Péripatéticiens.
  4. « Les substances sensibles ont toutes une matière : le sujet est une substance, soit qu’on le considère comme la matière (et par matière j’entends ce qui est en puissance tel être déterminé, mais non pas en acte), soit qu’on le considère comme la forme et la figure de l’être (c’est-à-dire cette essence qui est séparable de l’être, mais séparable seulement par la conception). En troisième lieu vient l’ensemble de la matière et de la forme, qui seul est soumis à la production et à la destruction et qui seul est complètement séparable. Car parmi les substances que nous ne faisons que concevoir, les unes sont séparables, les autres ne le sont pas. Il est donc évident que la matière est une substance : car dans tous les changements du contraire au contraire, il y a un sujet sur lequel s’opère le changement. » (Aristote, Métaphysique, VIII, 1 ; t. II, p. 66 de la trad. de MM. Pierron et Zévort.)