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DEUXIÈME ENNÉADE.

en rencontrant des obstacles : dans ce cas, elle produit des choses moins parfaites. Comme elle a reçu la puissance de produire, et qu’elle contient les raisons qui ne sont pas les premières [les raisons séminales, qui sont inférieures aux idées], non-seulement elle produit en vertu de ce qu’elle a reçu, mais encore elle tire d’elle-même quelque chose qui est évidemment inférieur [la matière][1]. Elle produit sans doute un être vivant [l’univers], mais un être vivant qui est moins parfait, qui jouit moins bien de la vie, parce qu’il occupe le dernier rang, qu’il est grossier et difficile à gouverner, que la matière qui le compose est en quelque sorte la lie amère des principes supérieurs, qu’elle répand son amertume autour d’elle et en communique quelque chose à l’univers.

XVIII. Faut-il donc regarder comme nécessaires les maux qui se trouvent dans l’univers, parce qu’ils sont les conséquences de principes supérieurs ? Oui : car sans eux l’univers serait imparfait. La plupart des maux, ou plutôt tous les maux sont utiles à l’univers : tels sont les animaux venimeux ; mais souvent on ne sait pas à quoi ils servent. La méchanceté même est utile sous beaucoup de rapports, et peut produire beaucoup de belles choses : par exemple, elle conduit à de belles inventions ; elle oblige les hommes à la prudence, et ne les laisse pas s’endormir dans une indolente sécurité[2].

Si ces réflexions sont justes, il faut admettre que l’Âme universelle contemple toujours les meilleurs principes, parce qu’elle est tournée vers le monde intelligible et vers Dieu. Comme elle s’en remplit et qu’elle en est remplie, elle déborde en quelque sorte sur son image, sur la Puissance qui tient le dernier rang [la Puissance naturelle et génératrice], et qui, par conséquent, est la dernière Puissance créatrice. Au-dessus de cette Puissance

  1. Voy. Enn. III, liv. iv, § 1.
  2. Voy. Enn. III, liv. iii, § 5, 11.