Page:Plotin - Ennéades, t. I.djvu/280

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
139
LIVRE HUITIÈME.

l’existence du Bien, à nier qu’il y ait rien de désirable, et par conséquent à anéantir le désir même ainsi que l’aversion, enfin la pensée : car on a le désir du Bien, l’aversion du Mal. On a la pensée et la connaissance du Bien tout à la fois et du Mal ; la pensée est elle-même un bien.

Il faut donc reconnaître qu’il y a d’abord le Bien, le Bien sans mélange, puis la nature mélangée de bien et de mal ; que ce qui participe plus du mal tend par cela même au Mal absolu, et que ce qui y participe moins tend par cela même au Bien. Car qu’est-ce que le mal pour l’âme ? c’est d’être en contact avec la nature inférieure ; sans cela, il n’y aurait pour elle ni appétit, ni douleur, ni crainte. En effet, c’est pour le composé [de l’âme et du corps] que nous éprouvons de la crainte : nous craignons qu’il ne soit dissous ; la cause de nos douleurs et de nos souffrances, c’est sa dissolution ; enfin le but de tout appétit, c’est d’écarter ce qui le trouble ou de prévenir ce qui pourrait le troubler. Quant à la représentation sensible (φαντασία), c’est l’impression faite par un objet extérieur sur la partie irraisonnable de l’âme, partie qui ne peut recevoir cette impression que parce qu’elle n’est pas indivisible. L’opinion fausse vient à l’âme de ce qu’elle n’est plus au sein de la vérité, et elle n’y est plus parce qu’elle n’est plus pure. Tout au contraire, le désir de l’intelligible conduit l’âme à s’unir intimement avec l’intelligence, comme elle le doit, à y rester solidement édifiée en quelque sorte, sans incliner vers ce qui est inférieur. Si le Mal ne reste pas le Mal pur, c’est par la nature et par la puissance du Bien. Il est comme un captif que la Beauté couvre de ses chaînes d’or, afin que les dieux ne le voient pas dans sa nudité, et que les hommes ne l’aient pas toujours sous les yeux, ou que, s’ils l’ont quelquefois sous les yeux, ils se rappellent le Beau lorsqu’ils en aperçoivent une image affaiblie.