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PREMIÈRE ENNÉADE.

même pas parce qu’elle est mauvaise. La matière obscurcit, affaiblit la lumière qui rayonne sur elle parce qu’elle y mêle ses ténèbres. Elle donne à l’âme l’occasion de produire la génération[1] en lui offrant un libre accès vers elle : car si la matière n’était pas présente, l’âme ne s’en approcherait pas. Descendre ainsi dans la matière, voilà la chute de l’âme : de là dérive aussi sa faiblesse : elle consiste en ce que toutes ses facultés ne s’exercent pas, parce que la matière entrave leur action, en remplissant le lieu que l’âme occupe et en la forçant pour ainsi dire à se resserrer. D’ailleurs elle rend mauvais ce qu’elle lui a dérobé jusqu’à ce que cette dernière puisse opérer son retour dans le monde intelligible. La matière est donc pour l’âme une cause de faiblesse, une cause de vice. Donc elle est primitivement mauvaise par elle-même, elle est le premier Mal. C’est la matière qui, par sa présence, est cause que l’âme exerce sa puissance génératrice, et qu’elle est ainsi conduite à pâtir ; c’est la matière qui est cause que l’âme est entrée en commerce avec elle et est devenue mauvaise. L’âme en effet ne se serait jamais approchée de la matière si la présence de celle-ci ne lui avait donné occasion de produire la génération.

XV. Prétendra-t-on que la matière n’existe pas ? Nous rappellerons dans ce cas la discussion approfondie à laquelle nous nous sommes livrés ailleurs[2] pour prouver la nécessité de son existence. Affirmera-t-on que le Mal n’est nullement au nombre des êtres ? On sera conduit à nier aussi


    qui revient à dire que l’âme, quoique présente à la matière, ne lui est ici d’aucun secours. M. Creuzer, après s’être étonné de l’embarras qu’éprouve ici Engelhardt, loue Taylor d’avoir suivi la traduction de Ficin : Consultius Taylor Ficini vestigia legit (vol. iii, p. 77 de son édition). C’est là une singulière inadvertance : car Taylor a dit précisément le contraire du traducteur latin : It [matter] cannot sustain the irradiations of the soul though present.

  1. Voy. p. 123, note.
  2. Voy. Enn. II, liv. iv, De la Matière.