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LIVRE HUITIÈME.

sont mauvais pour l’œil parce qu’ils l’empêchent de voir ? Dans cette hypothèse, le mal de l’âme sera la cause qui produira le mal, et il le produira sans être le Mal absolu. Si donc le vice est un obstacle pour l’âme, il ne sera pas le Mal absolu, mais la cause du Mal, comme la vertu n’est pas le Bien et contribue seulement à le faire obtenir. Si la vertu n’est pas le Bien, ni le vice le Mal, il en résulte que, puisque la vertu n’est ni le Beau absolu, ni le Bien absolu, le vice n’est ni la Laideur absolue, ni le Mal absolu. Nous disons que la vertu n’est ni le Beau absolu, ni le Bien absolu, parce qu’il y a au-dessus d’elle et avant elle le Beau absolu, le Bien absolu. C’est seulement parce qu’elle en participe que la vertu est regardée comme un bien, comme une beauté. Or, comme l’âme, en s’ élevant au-dessus de la vertu, rencontre le Beau absolu, le Bien absolu, ainsi en descendant au-dessous de la méchanceté, elle rencontre le Mal absolu. Elle part donc de la méchanceté pour arriver à l’intuition du Mal, si toutefois l’intuition du Mal est possible. Enfin, quand elle est descendue, elle participe du Mal. Elle se précipite complètement dans la région de la diversité[1], et en s’y plongeant, elle tombe dans un bourbier ténébreux. Si elle tombait dans la Méchanceté absolue, ce n’est plus la méchanceté qu’elle aurait pour caractère ; elle l’échangerait contre une nature inférieure encore. En effet, la méchanceté a encore quelque chose d’humain tout en étant mêlée à une nature contraire. L’homme vicieux meurt donc autant que l’âme peut mourir. Or mourir pour l’âme, c’est, quand elle est plongée dans le corps, s’enfoncer dans la matière et s’en remplir ; puis, quand elle a quitté le corps, retomber encore dans la même boue jusqu’à ce qu’elle opère son retour dans le monde intelligible et qu’elle détache ses regards de ce bourbier. Tant

  1. Voy. Platon, Banquet, p. 211.