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LIVRE HUITIÈME.

l’est aussi à la matière. Platon explique également ce que c’est qu’être séparé du corps ou n’en être pas séparé ; enfin ce que c’est qu’être auprès des dieux : c’est être uni aux objets intelligibles ; car c’est à ces objets qu’appartient l’immortalité.

Voici encore une raison qui montre la nécessité du Mal. Puisque le Bien ne reste pas seul, il est nécessaire que le Mal existe par l’éloignement du Bien (τῇ ἐϰϐάσει τῇ παρ’ αὐτὸ) [c’est-à-dire par l’infériorité relative des êtres qui, procédant les uns des autres, s’éloignent de plus en plus du Bien]. Ou, si on l’aime mieux, par l’effet de l’abaissement et de l’épuisement (ὑποϐάσει ϰαὶ ἀποστάσει) [de la puissance divine qui, dans la série de ses émanations successives, s’affaiblit de degré en degré], il y a un dernier degré de l’être (τὸ ἔσχατον au delà duquel rien ne peut plus être engendré[1] : c’est là le Mal. De même que l’existence de ce qui vient après le Premier [le Bien] est nécessaire, celle du dernier degré de l’être l’est également ; or le dernier degré est la matière qui n’a plus rien du Premier ; donc l’existence du Mal est nécessaire.

VIII. Mais, objectera-t-on peut-être, ce n’est pas la matière qui nous rend méchants : car ce n’est pas elle qui produit l’ignorance et les appétits pervers. En eflfet, si c’est par suite de la méchanceté du corps que ces appétits nous entraînent au mal, il faut en chercher la cause, non dans la matière, mais dans la forme [dans les qualités du corps] :

  1. Dans le système de Plotin, la création s’explique par la procession des êtres (πρόοδος). Du Bien procède l’Intelligence, de l’Intelligence l’Âme, de l’Âme la Matière, qui est le Mal. Cette procession est nécessaire, et chaque être est inférieur à celui dont il procède. Voy. Enn. II, liv. v, § 5, et liv. ix, § 8, 13 ; Enn. V, liv. i. On trouve aussi dans Philon cette pensée que la matière est le degré infime de la puissance divine, et que le Mal est la conséquence de la procession des êtres : « Il fallait, pour manifester le meilleur, que le pire fût engendré par la puissance que possède la bonté de Dieu. » (Allégorie de la loi, liv. ii, p. 74.)