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PREMIÈRE ENNÉADE.

il y aurait encore opposition, et ce serait une opposition d’essence. Donc les choses qui sont complètement séparées, qui n’ont rien de commun, qui sont aussi éloignées que possible, sont contraires par leur nature ; ce n’est pas une opposition de qualité, ni d’aucun genre des êtres ; c’est une opposition fondée sur ce que ces deux choses sont aussi éloignées que possible, sont composées de contraires, et communiquent ce caractère à leurs éléments.

VII. Pourquoi l’existence du Bien implique-t-elle nécessairement celle du Mal ? Est-ce parce que la matière est nécessaire à l’existence du monde ? Est-ce parce que celui-ci est nécessairement composé de contraires, et que par conséquent il ne saurait exister sans la matière ? Dans ce cas, la nature de ce monde est mêlée d’intelligence et de nécessité. Ses biens sont ce qu’elle reçoit de la divinité ; ses maux proviennent de la nature primordiale[1], ainsi que s’exprime Platon pour désigner la matière comme une simple substance qui n’est pas encore ornée par une divinité[2]. Mais qu’entend-il par nature mortelle[3] ? Quand il dit que les maux assiégent la région d’ici-bas, il veut parler de l’univers. On peut citer à l’appui ce passage : « Puisque vous êtes nés, vous n’êtes pas immortels, mais par mon secours vous ne périrez pas.[4] » S’il en est ainsi, on a raison de dire que les maux ne peuvent être anéantis. Comment donc peut-on les fuir[5] ? Ce n’est pas en changeant de lieu, dit Platon, mais en acquérant la vertu et en se séparant du corps : car c’est en même temps se séparer de la matière, puisque quiconque est attaché au corps

  1. Allusion à l’un des dogmes fondamentaux de Platon, que l’on trouve surtout exposé dans le Timée.
  2. Pour l’interprétation de la fin de cette phrase, nous lisons avec Creuzer : ἐϰ θεοῦ του, par une divinité, au lieu de εἰ θεῷτο, qui n’offre pas un sens satisfaisant.
  3. Voy. le passage déjà cité ci-dessus, p. 41, note.
  4. Voy. Platon, Timée, p. 41.
  5. Pour une réponse développée à cette question, Voy. ci-dessus le livre Des Vertus, § 1, et le livre Du Beau, § 8.