Page:Plotin - Ennéades, t. I.djvu/267

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
126
PREMIÈRE ENNÉADE.

dans les astres il n’y a ni injustice ni aucune autre espèce de mal, qu’ils ne se nuisent pas réciproquement dans leur cours et qu’à leurs révolutions préside la plus belle harmonie ; tandis que la terre offre le spectacle de l’injustice, du désordre, parce que notre nature est mortelle et que nous habitons un lieu inférieur. Mais quand Platon dit : il faut fuir d’ici-bas[1], cela ne signifie pas qu’il faille quitter la terre ; il suffit, tout en y restant, de s’y montrer juste, pieux, sage. C’est la méchanceté qu’il faut fuir parce que c’est en elle et dans ses conséquences que consiste le mal de l’homme.

Quand l’interlocuteur [Théodore][2] dit à Socrate que les maux seraient anéantis si les hommes faisaient ce que prescrit ce sage, Socrate répond que cela n’est pas possible, que le Mal est nécessaire parce qu’il faut que le Bien ait son contraire. Mais comment se fait-il que le mal de l’homme, que la méchanceté soit le contraire du bien ? c’est que c’est le contraire de la vertu. Or la vertu, sans être le Bien en soi, est un bien cependant, un bien qui nous fait dominer la matière. Mais comment le Bien en soi peut-il avoir un contraire ? car il n’est pas une qualité. En outre, pourquoi l’existence d’une chose nécessite-t-elle celle de son contraire ? Admettons toutefois que cela soit possible, que quand une chose existe, son contraire puisse exister aussi, que par exemple, quand un homme est en bonne santé, il puisse tomber malade : il ne s’en suit pas cependant que ce soit nécessaire. Aussi Platon ne prétend-il pas que l’existence de chaque chose de cette espèce entraîne nécessairement celle de son contraire : il n’affirme cela que du Bien[3]. Mais comment le Bien peut-il avoir un contraire s’il est l’essence, ou plutôt s’il est au-dessus de l’essence ? Qu’il n’y ait rien de contraire à l’essence, c’est ce qui pa-

  1. Voy. Théétète p. 176.
  2. Voy. Théétète, ibid.
  3. Voy. Théétète, ibid.