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LIVRE HUITIÈME.

matière où le mal réside, soit par les parties de l’âme auxquelles il se rapporte, comme la vue, le désir, la passion.

Si l’on admet qu’il y a aussi des maux hors de l’âme, on doit se demander comment s’y ramènent la maladie, la laideur, la pauvreté. Or on dit que la maladie est un défaut ou un excès des corps matériels qui ne supportent ni l’ordre ni la mesure ; on dit aussi que la cause de la laideur, c’est que la matière se prête mal à la forme, que la pauvreté provient du besoin et du manque des objets nécessaires à la vie par suite de notre union avec la matière dont la nature est l’indigence même[1]. Si ces assertions sont vraies, nous ne sommes pas le principe du Mal, nous ne sommes pas mauvais par nous-mêmes ; les maux existent avant nous. Si les hommes s’abandonnent au vice, c’est malgré eux. On peut éviter les maux de l’âme, mais cela exige une fermeté que n’ont pas tous les hommes. Le Mal a donc pour cause la présence de la matière dans les choses sensibles ; il n’est pas identique avec la méchanceté des hommes : car il n’y a pas de méchanceté dans tous les hommes ; il en est qui triomphent de la méchanceté ; ceux qui n’ont pas besoin d’en triompher sont par cela même meilleurs encore. En tout cas, les hommes triomphent du mal par celle de leurs facultés qui n’est pas engagée dans la matière.

VI. Examinons en quel sens on a dit que les maux ne peuvent être détruits, qu’ils sont nécessaires, qu’ils ne se trouvent pas chez les dieux, mais qu’ils assiégent toujours la nature mortelle et le lieu que nous habitons[2]. Assurément le ciel est pur de tout mal parce qu’il se meut éternellement avec régularité, dans un ordre parfait, parce que

  1. C’est l’expression employée par Héraclite et par les Stoïciens pour désigner l’état du monde après la conflagration universelle.
  2. Voy. Platon : Théétète, p. 176 ; République, II, p. 279. Plotin a déjà cité et commenté cette pensée, au début du livre ii de cette même Ennéade, où nous ayons cité le passage entier de Platon.