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PREMIÈRE ENNÉADE.


IV. La nature des corps, en tant qu’elle participe de la matière, est un mal ; cependant elle ne saurait être le Premier mal : car elle a une certaine forme ; mais cette forme n’a rien de réel ; en outre, elle est privée de la vie[1] : car les corps se corrompent mutuellement ; agités d’un mouvement déréglés[2], ils empêchent l’âme d’accomplir son action propre ; ils sont dans un flux perpétuel, contraire à la nature immuable des essences : aussi constituent-ils le second mal.

Quant à l’âme, elle n’est pas mauvaise par elle-même, et toute âme n’est pas mauvaise. Quelle est donc celle qui mérite ce nom ? Celle de l’homme qui, selon l’expression de Platon[3], est esclave du corps, chez qui la méchanceté de l’âme est naturelle. En effet, la partie irraisonnable de l’âme admet tout ce qui constitue le mal, l’indétermination, l’excès, le défaut, d’où proviennent l’intempérance, la lâcheté et les autres vices de l’âme, les passions involontaires, mères des fausses opinions, qui nous font regarder comme des biens ou des maux les choses que nous recherchons ou que nous évitons. Mais qu’est-ce qui produit ce mal ? comment en faire une cause, un principe ? D’abord, l’âme n’est ni indépendante de la matière, ni perverse par elle-même. En vertu de son union avec le corps, qui est matériel, elle est mêlée à l’indétermination, et jusqu’à un certain point privée de la forme qui embellit et qui donne la mesure. Ensuite, si la raison est gênée dans ses opéra-

  1. Tout ce passage paraît altéré. Nous avons traduit, avec Ficin et Taylor, comme s’il y avait ἐστέρηται δὲ ζωῆς, bien que le texte porte ἐστέρηται οὔτε ζωῆς. Creuzer, tout en conservant la négation dans son texte, déclare dans ses notes en préférer la suppression. Cette correction est autorisée par deux Mss. Si l’on maintenait la négation, comme l’a fait Engelhardt, on pourrait traduire : « Les corps ne sont pas privés de la vie, mais ils se corrompent, etc. »
  2. Au lieu de φορᾷ ἄταϰτος, que porte ici le texte, il faut lire ou φορὰ ἄταϰτος, ou φορᾷ ἄταϰτῳ.
  3. Δουλευσαμένῳ, expression familière à Platon quand il parle de l’âme qui s’est placée dans la dépendance du corps. On la trouve notamment dans le Ier Alcibiade.