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LIVRE HUITIEME.
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Mais [dira-t-on], on ne peut concevoir l’indétermination (ἀμετρία) hors de l’indéterminé, pas plus que la détermination, la mesure (μέτρον), hors du déterminé, du mesuré. [Nous répondrons] : De même que la détermination ne réside pas dans le déterminé [que la mesure ne réside pas dans le mesuré], l’indétermination n’existe pas non plus dans l’indéterminé. Si elle peut être dans une chose autre qu’elle-même, ce sera ou dans l’indéterminé : mais par cela même qu’il est naturellement indéterminé, celui-ci n’a pas besoin de l’indétermination pour devenir tel ; ou bien dans le déterminé : mais, par cela même qu’il est déterminé, le déterminé ne peut admettre l’indétermination. Il doit donc exister quelque chose qui soit l’infini en soi (ἄπειρον ϰαθ’ αὐτό), l’informe en soi (ἀνειδεον), et qui réunisse tous les caractères que nous avons indiqués plus haut comme constituant la nature du Mal[1]. Quant aux choses mauvaises, elles sont telles soit parce que le mal s’y trouve mêlé, soit parce qu’elles contemplent le mal, soit enfin parce qu’elles l’accomplissent.

Ce qui est le sujet de la figure, de la forme, de la détermination, de la limitation, ce qui doit à autrui ses ornements, mais qui n’a rien de bon par soi-même, ce qui n’est par rapport aux êtres véritables qu’une vaine image, en un mot l’essence du Mal, s’il peut y avoir une telle essence, voilà ce que la raison nous oblige à reconnaître pour le Premier mal, le Mal en soi.

  1. Plotin identifie le mal avec la matière et lui donne les mêmes attributs. Il en résulte que pour comprendre la théorie que notre philosophe expose ici, il est nécessaire de connaître ses idées sur la nature de la matière. On les trouvera développées plus loin, dans le livre iv de l’Ennéade II (De la Matière), et nous prions le lecteur d’y recourir toutes les fois que nous y renvoyons, pour éviter d’inutiles citations. Les termes dont Plotin se sert dans ce passage pour désigner le mal : l’infini en soi, l’informe en soi, etc., sont expliqués § 8-16 du livre cité.