Page:Plotin - Ennéades, t. I.djvu/261

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
120
PREMIÈRE ENNÉADE.

que le Mal se trouve dans le non-être, qu’il en soit en quelque sorte la forme, qu’il se rapporte aux choses qui s’y mêlent ou qui ont quelque communauté avec lui. Ce non-être n’est pas le non-être absolu[1] ; seulement il diffère de l’être, non pas comme en diffèrent le mouvement et le repos[2], qui se rapportent à l’être, mais comme l’image ou quelque chose de plus éloigné encore de la réalité. Dans ce non-être sont compris tous les objets sensibles, toutes leurs modifications passives ; ou bien, il est quelque chose d’inférieur encore, comme leur accident, ou leur principe, ou l’une des choses qui concourent à le constituer. Pour mieux déterminer le Mal, on peut se le représenter comme le manque de mesure par rapport à la mesure, comme l’indétermination par rapport au terme, comme le manque de forme par rapport au principe créateur de la forme, comme le défaut par rapport à ce qui se suffit à soi-même, comme l’illimitation et la mutabilité perpétuelle, enfin comme la passivité, l’insatiabilité et l’indigence absolues[3]. Ce ne sont pas là de simples accidents du Mal, c’est pour ainsi dire son essence même : quelque portion du Mal qu’on examine, on y découvre tout cela. Les autres objets, lorsqu’ils participent du Mal et lui ressemblent, deviennent mauvais sans être cependant le Mal absolu.

Toutes ces choses appartiennent à une substance : elles n’en diffèrent pas ; elles sont identiques avec elle et la constituent. Car si le mal se trouve comme accident dans un objet, il faut d’abord que le Mal soit quelque chose par lui-même, tout en n’étant pas une véritable essence. De même que, pour le bien, il y a le Bien en soi et le bien envisagé comme attribut d’un sujet étranger, de même, pour le mal, on distingue le Mal en soi et le mal comme accident.

  1. Voy. Enn. III, liv. viii, § 9 ; Enn. IV, liv. vii, § 14 ; Enn. VI, liv. iv, § 2, et liv. ix, § 2.
  2. Voy. Enn. VI, liv. ii.
  3. Toutes ces expressions sont empruntées à Platon. Voy. le Parménide et le l’Alcibiade, passim.