Page:Plotin - Ennéades, t. I.djvu/259

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
118
PREMIÈRE ENNÉADE.

car les choses qui sont supérieures doivent précéder les inférieures, parce que les unes sont des formes et que les autres n’en sont pas, qu’elles en sont plutôt la privation. Il faut aussi chercher en quel sens le Mal est le contraire du Bien : si c’est en ce sens que l’un est le Premier, et l’autre le Dernier[1] ; l’un, la forme, et l’autre, la privation de la forme. Mais nous en parlerons plus loin[2].

II. Déterminons maintenant la nature du Bien, autant du moins que l’exige la présente discussion. Le Bien est le principe dont tout dépend, auquel tout aspire, d’où tout sort et dont tout a besoin. Quant à lui, il est complet, il se suffit à lui-même, il n’a besoin de rien, il est la mesure[3] et le terme de toutes choses ; il tire de son sein l’Intelligence, l’Essence, l’Âme, la Vie, et la contemplation intellectuelle.

Toutes ces choses sont belles ; mais il est un principe possédant une Beauté suprême, principe supérieur aux choses qui sont les meilleures[4] ; il règne dans le monde intelligible[5], étant l’Intelligence même, bien différente de ce que nous appelons les intelligences humaines. Ces dernières en effet sont tout occupées de propositions, discutent sur le sens des mots, raisonnent, examinent la validité des conclusions, contemplent les choses dans leur enchaînement, incapables qu’elles sont de posséder la vérité à priori, et vides de toute idée avant d’avoir été instruites par l’expérience, quoiqu’elles soient cependant des intelligences. Telle n’est pas l’Intelligence première : tout au contraire, elle possède toutes choses ; elle est toutes choses, mais en restant en elle-même ; elle possède

  1. Voy. § 7.
  2. Voy. § 3.
  3. Voy. Platon, Lois, IV, p. 716 : ὁ δὴ θεὸς πάντων ϰρημάτων μέτρον. C’est le principe opposé à celui de Protagoras qui fait l’homme la mesure de tout. »
  4. Dans cette phrase Plotin passe brusquement du Bien à l’Intelligence en la désignant par un simple changement de genre : Τὸ δ’ ἐστίν ανεδεὲς, ιϰανὸν ἐαυτῷ.... αὐτόστε γὰρ ὑπέρϰαλος.
  5. Cette expression est empruntée à Platon (Philèbe, p. 28) : ὡς γὰρ ἐστι βασιλεῦς.