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PREMIÈRE ENNÉADE.

gence, l’intelligence est le bien ; en sorte que l’être qui joint l’intelligence à la vie possède un double bien.

III. Si la vie est un bien, ce bien appartient-il ou non à tous les êtres ? Non certes. La vie est incomplète pour le méchant comme pour l’œil qui ne voit pas distinctement : car il n’accomplit pas sa fin.

Si, pour nous, la vie, mêlée comme elle l’est, est un bien, quoiqu’un bien imparfait, comment soutenir [nous dira-t-on] que la mort n’est pas un mal ? Mais pour qui serait-elle un mal ? car il faut que le mal soit l’attribut de quelqu’un. Or pour l’être qui n’est plus, ou qui, même existant, est privé de la vie, il n'y a pas plus de mal que pour une pierre[1]. Mais si après la mort l’être vit encore, s’il est encore animé, il possédera le bien, et d’autant plus qu’il exercera ses facultés sans le corps. S’il est uni à l’Âme universelle, quel mal peut-il y avoir pour lui ? Aucun : car pour les dieux il y a bien sans mélange de mal. Il en est de même pour l’âme qui conserve sa pureté. Pour qui ne la conserve pas, ce n’est pas la mort, c’est la vie qui est un mal. S’il y a des châtiments dans l’enfer, la vie est encore un mal pour l’Âme, parce qu’elle n’est pas pure. Si la vie est l’union de l’âme et du corps, et la mort leur séparation, l’âme peut passer par ces deux états [sans être pour cela malheureuse].

Mais si la vie est un bien, comment la mort n’est-elle pas un mal ? Certes la vie est un bien pour ceux qui possèdent le bien ; [elle est un bien] non parce que l’âme est unie au corps, mais parce qu’elle repousse le mal par la vertu. La mort serait plutôt un bien [parce qu’elle nous délivre du corps]. En un mot, il faut dire que la vie dans un corps est par elle-même un mal ; mais, par la vertu, l’âme se place dans le bien, non en conservant l’union qui existe, mais en se séparant du corps.

  1. L’expression de Plotin semble faire allusion à un proverbe.