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LIVRE SIXIÈME.

L’âme s’avance ainsi dans son ascension vers Dieu jusqu’à ce que, s’étant élevée au-dessus de tout ce qui lui est étranger, elle voie seule à seul, dans toute sa simplicité, dans toute sa pureté, Celui dont tout dépend, auquel tout aspire, duquel tout tient l’existence, la vie, la pensée : car il est le principe de l’existence, de la vie, de la pensée. Quels transports d’amour ne doit pas ressentir celui qui le voit[1], avec quelle ardeur ne doit-il pas souhaiter s’unir à lui, de quel ravissement ne doit-il pas être transporté ! Celui qui ne l’a pas encore vu le désire comme le Bien ; celui qui l’a vu l’admire comme la souveraine Beauté, est frappé à la fois de stupeur et de plaisir, ressent un saisissement qui n’a rien de douloureux, aime d’un véritable amour, d’une ardeur sans égale[2], se rit des autres amours, et dédaigne les choses qu’il appelait auparavant du nom de beautés. C’est ce qui arrive à ceux auxquels sont apparues les formes des dieux et des démons : ils ne regardent plus la beauté des autres corps. Que pensons-nous donc que doive éprouver celui qui voit le Beau même[3], le Beau pur, qui, en vertu de sa pureté même, est sans chair et sans corps, en dehors de la terre et du ciel ! Toutes ces choses en effet sont contingentes et composées ; elles ne sont pas des principes ; elles dérivent de Lui. Si l’on peut arriver à voir Celui qui donne à tous les êtres leur perfection tout en demeurant immobile en lui-même, sans rien recevoir, si l’on se repose dans sa contemplation et qu’on en jouisse, en lui devenant semblable, quelle beauté souhaitera-t-on voir encore ? Étant la Beauté suprême, la Beauté première, Il rend beaux ceux qui l’aiment et par là ils deviennent eux-mêmes dignes d’amour. Voilà le grand but, le but suprême des âmes ; voilà le but qui appelle tous leurs efforts si elles ne veulent pas être déshéritées de cette

  1. Voy. Platon, Phèdre, p. 346.
  2. Voy. Platon, Banquet, p. 210.
  3. Voy. Platon, Banquet, p. 211.