Page:Plotin - Ennéades, t. I.djvu/248

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
107
LIVRE SIXIÈME.

corps étranger, parce qu’il est ramené à sa seule nature. De même l’âme, affranchie des passions qu’engendre son commerce avec le corps quand elle se livre trop à lui, délivrée des impressions extérieures, purifiée des souillures qu’elle contracte par son alliance avec le corps, enfin réduite à elle-même, dépose cette laideur qui ne lui vient que d’une nature étrangère à la sienne.

VI. Ainsi, comme le dit une antique maxime[1], le courage, la tempérance, toutes les vertus, la prudence même, ne sont qu’une purification. C’est donc avec sagesse qu’on enseigne dans les mystères que l’homme qui n’aura pas été purifié séjournera, dans les enfers, au fond d’un bourbier, parce que tout ce qui n’est pas pur se complaît dans la fange par sa perversité même : c’est ainsi que nous voyons les pourceaux immondes se vautrer dans la fange avec délices. En quoi ferions-nous en effet consister la véritable tempérance si ce n’est à ne pas s’attacher aux plaisirs du corps, à les fuir même comme impurs et propres à un être impur[2] ? Le courage ne consiste-t-il pas à ne pas craindre la mort, qui n’est autre chose que la séparation de l’âme d’avec le corps ? Celui qui veut s’isoler du corps ne saurait donc craindre la mort. La grandeur d’âme n’est que le mépris des choses d’ici-bas. Enfin la prudence, c’est la pensée qui, détachée de la terre, élève l’âme au monde intelligible. L’âme purifiée devient une forme, une raison, une essence incorporelle, intellectuelle ; elle appartient tout entière à la divinité, en qui se trouve la source du beau et de toutes les qualités qui ont de l’affinité avec lui.

Ramenée à l’intelligence, l’âme voit donc croître sa beauté : en effet, sa beauté propre, c’est l’intelligence avec ses idées ; c’est quand elle est unie à l’intelligence que l’âme est véritablement isolée de tout le reste. Aussi dit-on avec raison que le bien et le beau pour l’âme, c’est de se rendre

  1. Voy. Platon, Phédon, p. 69.
  2. Voy. p. lii, cix (note 2), 55, 380.