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PREMIÈRE ENNÉADE.

que nous cherchons. Supposons une âme laide : elle sera livrée à l’intempérance, injuste, en proie à une foule de passions, troublée, pleine de crainte par l’effet de sa lâcheté, d’envie par sa bassesse ; elle ne songera qu’aux choses viles et périssables ; elle sera entièrement dépravée, n’aimera que les voluptés impures, n’aura d’autre vie que la vie sensuelle, se complaira dans sa turpitude. N’expliquerons-nous pas un pareil état en disant que c’est sous le masque même de la beauté que la turpitude s’est introduite dans cette âme, qu’elle l’a abrutie, souillée de toute espèce de vices, rendue incapable d’avoir une vie pure, des sentiments purs, qu’elle l’a réduite à une existence obscure, infectée par le mal, empoisonnée par des germes de mort, qu’elle l’empêche de rien contempler de ce qu’elle doit contempler, de rester seule avec elle-même, parce qu’elle l’entraîne hors d’elle vers les régions inférieures et ténébreuses ? L’âme tombée dans cet état d’impureté, emportée par un penchant irrésistible vers les choses sensibles, absorbée dans son commerce avec le corps, enfoncée dans la matière, l’ayant même reçue en elle, a changé de forme par son mélange avec une nature inférieure. Tel un homme tombé dans un bourbier fangeux ne laisserait plus découvrir à l’œil sa beauté primitive, et ne présenterait plus que l’empreinte de la fange qui l’a souillé ; sa laideur vient de l’addition d’une chose étrangère : veut-il recouvrer sa beauté première, il faut qu’il lave ses souillures, qu’en se purifiant il redevienne ce qu’il était.

Nous avons le droit de dire que l’âme devient laide en se mêlant au corps, en se confondant avec lui, en inclinant[1] vers lui. La laideur pour l’âme consiste à n’être point pure et sans mélange[2], comme pour l’or à être souillé de parcelles de terre ; qu’on enlève ces scories, il ne reste plus que l’or, et alors il est beau parce qu’il est séparé de tout

  1. Voy. p. 49.
  2. Voy. Platon : Banquet, p. 331 ; Philèbe, p. 401.