Page:Plotin - Ennéades, t. I.djvu/244

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
103
LIVRE SIXIÈME.

figure qui se distingue des autres figures par son élégance, alors l’âme, réunissant ces éléments multiples, les rapproche, les compare à la forme indivisible qu’elle porte en elle-même, et prononce leur accord, leur affinité et leur sympathie avec ce type intérieur. C’est ainsi que l’homme de bien, apercevant dans un jeune homme le caractère de la vertu, en est agréablement frappé, parce qu’il le trouve en harmonie avec le vrai type de la vertu qu’il a en lui. C’est ainsi que la beauté de la couleur, quoique simple par sa forme, soumet à son empire les ténèbres de la matière[1], par la présence de la lumière, qui est une chose incorporelle, une raison, une forme. Voilà encore pourquoi le feu est supérieur en beauté à tous les autres corps ; c’est qu’il joue à l’égard des autres éléments le rôle de forme ; il occupe les régions les plus élevées[2] ; il est le plus subtil des corps, parce qu’il est celui qui se rapproche le plus des êtres incorporels ; c’est encore le seul qui, sans se laisser pénétrer par les autres corps, les pénètre tous ; il leur communique la chaleur sans se refroidir ; il possède la couleur par son essence même, et c’est lui qui la communique aux autres ; il brille, il resplendit parce qu’il est une forme. Le corps où il ne domine pas, n’offrant qu’une teinte décolorée, n’est plus beau, parce qu’il ne participe pas à toute la forme de la couleur. C’est ainsi enfin que les harmonies cachées des sons produisent les harmonies sensibles, et donnent encore à l’âme l’idée de la beauté, mais en la lui montrant dans un autre ordre de choses. Les harmonies sensibles peuvent être évaluées en nombres ; non pas il est vrai dans toute espèce de nombres, mais dans ceux seulement qui peuvent servir à produire la forme et à la faire dominer.

Voilà ce que nous avions à dire des beautés sensibles, qui, descendant sur la matière comme des images et des

  1. Voy. Platon : Timée, p. 81 ; Philèbe, p. 29.
  2. Voy. Enn. II, liv. i.