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LIVRE SIXIÈME.

étant telle qu’elle est, c’est-à-dire d’une essence supérieure à tous les autres êtres, quand elle aperçoit un objet qui a de l’affinité avec sa nature ou qui seulement en porte quelque trace, elle se réjouit, elle est transportée, elle rapproche cet objet de sa propre nature, elle pense à elle-même et à son essence intime. Quelle similitude y a-t-il donc entre le beau sensible et le beau intelligible ? car on ne saurait méconnaître cette similitude. Comment les objets sensibles peuvent-ils être beaux en même temps que les objets intelligibles ? C’est parce que les objets sensibles participent à une forme (μετοχῇ εἴδους).

Tant qu’un objet sans forme, mais capable par sa nature de recevoir une forme intelligible ou sensible (εἶδος, μορφή), reste sans forme et sans raison[1], il est laid. Ce qui demeure

  1. Combinant la doctrine platonicienne des idées avec les conceptions péripatéticiennes de forme et d’acte (p. 321, note 2), Plotin distingue dans tout objet deux éléments, la matière et la forme (p. 195, 226). La Matière est en puissance tous les êtres (p. 231) ; par suite elle est le non-être, la laideur et le mal (p. 108). La Forme est l’acte (p. cxxviii, note 2 ; p. 228), c’est-à-dire l’essence et la puissance (p. 197, note 1) ; elle seule possède l’existence réelle, la beauté et la bonté. Les degrés de la Forme sont les degrés mêmes de la pensée et de la vie (p. lxii), savoir : 1° l’idée, ἰδέα, ou forme intelligible, εἶδος, principe de la vie intellectuelle (p. 364) ; 2° la raison, λόγος, principe de la vie rationnelle, qui est propre à l’âme raisonnable (p. 340, note 2) ; 3° la raison séminale ou génératrice, σπερματιϰὸς ἢ γεννατιϰὸς λόγος, qui est le principe de la vie sensitive et qui donne au corps la forme sensible, μορφή (p. 182-193, et les notes ; p. 365) ; 4° la nature, φύσις, principe de la vie végétative ; 5° l’habitude, ἔξις, principe d’unité des êtres inorganiques (p. 221, note 3). — Quant à l’expression de raison divine, θεῖος λόγος, que l’on trouve ci-après (p. 102), elle signifie la raison qui vient de l’Âme universelle : « L’Âme universelle, répandant sa lumière sur les ténèbres de la matière, l’embellit par les raisons séminales qui façonnent et forment les animaux (πλάττουσι ϰαὶ μορφοῦσι). Elle communique la vie aux choses qui ne vivent pas par elles-mêmes, et la vie qu’elle leur communique est semblable à sa propre vie. Or, vivant dans la Raison, elle donne au corps une raison, qui est l’image de la raison qu’elle possède elle-même. » (Enn. IV, liv. iii, § 10).