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PREMIÈRE ENNÉADE.

que avantage, il le possède comme homme actuellement heureux comparé à ceux qui ne le sont pas ; c’est donc par la présence actuelle du bonheur qu’il les surpasse.

VI. Le malheureux ne devient-il pas plus malheureux avec le temps ? Toutes les calamités, les souffrances, les chagrins, tous les maux analogues, ne s’aggravent-ils pas en proportion de leur durée ? Mais, si dans tous ces cas le mal s’augmente avec le temps, pourquoi n’en serait-il pas de même dans les cas contraires ? Pourquoi le bonheur ne s’augmenterait-il pas aussi[1] ?

Par rapport aux chagrins, aux souffrances, on peut dire avec raison que le temps y ajoute. Quand, par exemple, la maladie se prolonge et devient un état habituel, le corps s’altère de plus en plus profondément avec le temps. Mais si le mal reste toujours au même degré, s’il n’empire pas, on n’a à se plaindre que du présent. Veut-on au contraire tenir compte aussi du passé, c’est qu’alors on considère les traces que le mal a laissées, la disposition morbide dont le temps accroît l’intensité, parce que sa gravité est proportionnée à sa durée. Dans ce cas, ce n’est pas la longueur du temps, c’est l’aggravation du mal qui ajoute à l’infortune. Mais le nouveau degré ne subsiste pas en même temps que l’ancien, et il ne faut pas venir dire qu’il y a plus, en additionnant ce qui n’est plus avec ce qui est. Quant à la félicité, son caractère est d’avoir un terme bien fixe, d’être toujours la même. Si encore ici la longueur du temps amène quelque accroissement, c’est parce qu’un progrès dans la vertu en fait faire un dans le bonheur, et alors ce n’est pas le nombre des années de bonheur qu’on doit calculer, c’est le degré de vertu qu’on a fini par acquérir.

VII. Mais, s’il ne faut [quand il s’agit du bonheur] con-

  1. Voy. sur les mêmes questions, Cicéron, De Finibus, liv. ii, § 27, 28, 29, etc.