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LIVRE CINQUIÈME.

que ce présent existe, c’est dans sa possession qu’il cherche le bonheur. Et d’ailleurs, le désir de vivre ne pouvant être que le désir d’être, ce désir ne peut s’attacher qu’au présent puisqu’il n’y a d’existence réelle que dans le présent. Si l’on désire un temps à venir ou quelque événement postérieur, c’est qu’on veut conserver ce que l’on a déjà ; ce n’est ni le passé ni l’avenir, mais ce qui existe actuellement que l’on veut ; ce qu’on cherche, ce n’est pas une progression perpétuelle dans l’avenir, c’est la jouissance de ce qui est dès à présent.

III. Que dire de celui qui a vécu heureux pendant plus longtemps, qui a plus longtemps contemplé le même spectacle ?

Si, en contemplant plus de temps ce spectacle, il l’a vu de manière à s’en faire une idée plus exacte, la longueur du temps lui a servi à quelque chose ; mais s’il l’a vu de la même manière pendant tout le temps, il n’a aucun avantage sur celui qui ne l’a considéré qu’une fois.

IV. Mais [dira-t-on] l’un de ces hommes n’a-t-il pas joui plus longtemps du plaisir ?

Cette considération ne doit entrer pour rien dans le bonheur. Si par ce plaisir [dont il a joui] on entend l’exercice libre [de l’intelligence], le plaisir dont on parle est alors identique avec le bonheur que nous cherchons. Ce plaisir plus considérable dont il est question, c’est de ne posséder que ce qui est toujours présent ; ce qui en est passé n’est plus rien.

V. Et si un homme a été heureux depuis le commencement de sa vie jusqu’à la fin, un autre à la fin seulement, si un troisième, d’abord heureux, a cessé de l’être, sont-ils tous également heureux ?

Ici on ne compare pas entre eux tous hommes qui soient heureux ; on compare avec un homme heureux des hommes qui sont privés du bonheur, et cela au moment où le bonheur leur manque. Si donc l’un de ces hommes a quel-