Page:Plotin - Ennéades, t. I.djvu/228

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
87
LIVRE QUATRIÈME.

foie : à quoi bon en effet ? Sans doute on veut seulement que l’homme vertueux goûte les plaisirs attachés à la présence des biens, plaisirs qui ne doivent ni consister dans le mouvement, ni être accidentels : or il jouit de la présence de ces biens, puisqu’il est présent à lui-même ; est dès lors dans un état de douce sérénité. L’homme vertueux est donc toujours serein, calme, satisfait ; s’il est vraiment vertueux, son état ne peut être troublé par aucune de ces choses que nous appelons des maux. Si l’on cherche une autre espèce de plaisirs dans la vie vertueuse, c’est qu’un cherche autre chose que la vie vertueuse.

XIII. Les actions de l’homme vertueux ne sauraient être entravées par la fortune, mais elles pourront varier avec les vicissitudes de la fortune. Toutes seront également belles, et d’autant plus belles peut-être que l’homme vertueux se trouvera placé dans des circonstances plus critiques. Quant aux actes qui concernent la contemplation, s’il en est qui se rapportent à des choses particulières, ils seront tels que le sage pourra les produire après avoir bien cherché et considéré ce qu’il doit faire. Il trouve en lui-même la plus infaillible des règles de conduite, une règle, qui ne lui fera jamais défaut, fût-il enfermé dans ce taureau de Phalaris dont on a tant parlé. En vain l’homme vulgaire affecte à dire qu’un tel sort est doux, et le répète deux ou trois fois[1] : dans un pareil homme, ce qui prononce ces mots, c’est cette partie même qui subit les tortures [la partie animale]. Dans l’homme vertueux, au contraire, la partie qui souffre est autre que celle qui habite avec elle seule, et qui, en tant qu’elle habite ainsi nécessairement en elle-même, n’est jamais privée de la contemplation du Bien universel.

XIV. Ce qui constitue l’homme, l’homme vertueux sur-

  1. Cicéron, Tusculanes, liv. ii, § 17 : In Phalaridis tauro si positus erit [Epicurus], dicet : « Quam suave est, quam hoc non curo ! »