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LIVRE QUATRIÈME.

sentie ou perçue ? Il faut bien qu’il y ait quelque acte antérieur à la perception, puisque [pour l’intelligence] penser et exister sont identiques. La perception paraît ne pouvoir naître que lorsque la pensée se replie sur elle-même ; et que le principe dont l’activité constitue la vie de l’âme retourne pour ainsi dire en arrière et se réfléchit, comme l’image d’un objet placé devant un miroir se reflète dans sa surface polie et brillante. De même que, si le miroir est placé en face de l’objet, il se forme une image, et que, si le miroir est éloigné ou qu’il soit mal disposé, il n’y a plus d’image bien que l’objet lumineux continue d’agir ; de même, quand la faculté de l’âme qui nous représente les images de la raison discursive et de l’intelligence est dans un état convenable de calme, nous en avons l’intuition, la connaissance en quelque sorte sensible, avec la connaissance antérieure de l’activité de l’intelligence et de la raison discursive ; mais quand ce principe est agité par un trouble survenu dans l’harmonie des organes, la raison discursive et l’intelligence continuent d’agir sans qu’il y ait d’image, et la pensée ne se réfléchit pas dans l’imagination. Aussi faut-il admettre que la pensée est accompagnée d’une image sans cependant en être une elle-même. Il nous arrive souvent, pendant que nous sommes éveillés, de faire des choses louables, de méditer et d’agir, sans avoir conscience de ces opérations au moment où nous les produisons. Quand, par exemple, on fait une lecture, on n’a pas nécessairement conscience de l’action de lire, surtout si l’on est fort attentif à ce qu’on lit. Celui qui exécute un acte de courage ne pense pas non plus, pendant qu’il agit, qu’il agit avec courage. Il en est de même dans une foule d’autres cas ; de sorte qu’il semble que la conscience qu’on a d’un acte en affaiblisse l’énergie, et que, quand l’acte est seul [sans conscience], il soit dans son état de pureté et ait plus de force et de vie. Quand des hommes vertueux sont dans cet état [où il y a absence de conscience, leur