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LIVRE QUATRIÈME.

des autres et en ne pensant qu’à nous épargner un chagrin. Il y aurait là de notre part une faiblesse qu’il importe d’éloigner de nous, en ne nous laissant pas effrayer par la crainte de ce qui pourra arriver. Si l’on venait à objecter qu’il nous est naturel d’être affligés des malheurs de ceux qui nous entourent, nous répondrions d’abord qu’il n’en est pas ainsi de tous les hommes, ensuite qu’il est du devoir de la vertu d’améliorer la condition commune de la nature humaine et de la conduire à ce qu’il y a de plus beau, en s’élevant au-dessus de l’opinion du vulgaire. Or, il est beau de ne pas céder à ce que le vulgaire regarde ordinairement comme des maux. Pour lutter contre les coups de la fortune ; il ne faut pas se poser comme un ignorant, mais comme un habile athlète qui sait que les dangers qu’il brave sont redoutés de certaines natures, mais qu’une nature telle que la sienne les supporte facilement, n’y voyant rien de terrible ou du moins ne les trouvant redoutables que pour des enfants. Mais, dira-t-on, est-ce que le sage avait souhaité ces maux ? Non, sans doute ; cependant, quand il en est frappé, il leur oppose la vertu qui rend l’âme inébranlable et impassible.

IX. Mais, quand le sage n’a plus sa raison, quand il est accablé par la maladie, par les maléfices de la magie, continue-t-il d’être heureux ? Si l’on admet que dans cet état il continue d’être vertueux, qu’il est seulement assoupi comme dans le sommeil, pourquoi ne serait-il pas heureux, puisqu’on ne prétend pas que dans le sommeil il perde son bonheur, qu’on ne tient nul compte du temps qu’il passe dans cet état, et qu’on ne l’en regarde pas moins comme heureux toute sa vie ? Si l’on nie qu’il continue d’être vertueux, on sort de la question, puisque, supposant qu’il continue d’être vertueux, ce que nous cherchons c’est s’il reste

    heur des hommes auxquels la mort a épargné le spectacle de grandes calamités. Voy. Eschyle, les Sept chefs devant Thèbes, vers 327.