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PREMIÈRE ENNÉADE.

contraires, notre fin n’en reste pas moins tout à fait la même.

VII. Pourquoi donc l’homme heureux désire-t-il jouir de la présence de ces avantages et de l’absence de leurs contraires ? Nous répondrons que c’est parce qu’ils contribuent, non à son bonheur, mais à son existence ; que leurs contraires tendent à lui faire perdre l’existence, qu’ils entravent la jouissance du bien, sans l’enlever cependant ; en outre, que celui qui possède ce qu’il y a de meilleur veut le posséder uniquement, sans aucun mélange. Toutefois, quand un obstacle étranger survient, le bien existe encore même en présence de cet obstacle. En un mot, s’il arrive à l’homme heureux quelque accident contre sa volonté, son bonheur n’en est en rien altéré. Autrement, chaque jour il changerait et perdrait son bonheur, si, par exemple, il avait à regretter un fils, s’il perdait quelques-unes de ses possessions. Il est mille événements qui peuvent survenir contre son désir sans le troubler dans la jouissance du bien qu’il a atteint. Mais, dit-on, ce sont les grands malheurs, et non les accidents vulgaires [qui peuvent troubler le bonheur du sage]. Cependant, dans les choses humaines, en est-il une assez grande pour n’être pas méprisée de celui qui s’est élevé à un principe supérieur à tout, et qui ne dépend plus des choses inférieures ? Un tel homme ne pourra rien voir de grand dans les faveurs de la fortune, quelles qu’elles soient, comme d’être roi, de commander à des villes, à des peuples, de fonder et de bâtir des villes, lors même que ce serait lui- même qui aurait cette gloire ; il n’ira pas attacher de l’importance à la perte de son pouvoir ou même à la ruine de sa patrie. S’il regarde tout cela comme un grand mal, ou seulement comme un mal, il aura une opinion ridicule ; ce ne sera plus un homme vertueux : car, par Jupiter, il regardera comme une grande chose du bois, des pierres, la mort d’êtres nés mortels ; tandis qu’il devrait admettre comme une vérité incontestable que la mort est meilleure que la