Page:Plotin - Ennéades, t. I.djvu/220

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
79
LIVRE QUATRIÈME.

qui sont seulement nécessaires à nos besoins, ou qui sans l’être sont cependant nommées biens, il faudrait travailler à posséder aussi ces deniers. Mais comme l’homme doit avoir une fin unique et non multiple (autrement on ne dirait pas qu’il tend à sa fin, mais à ses fins), il faut rechercher seulement ce qu’il y a de plus élevé et de plus précieux, ce que l’âme désire enfermer en quelque sorte dans son sein. Son inclination, sa volonté ne peuvent aspirer à rien qui ne soit le souverain bien[1]. Si la raison évite certains maux et recherche certains avantages, c’est qu’elle y est provoquée par leur présence, mais elle n’y est pas portée par sa nature. La tendance principale de l’âme est dirigée vers ce qu’il y a de meilleur ; quand elle le possède, elle est rassasiée et elle s’arrête ; elle jouit alors d’une vie véritablement conforme à sa volonté. En effet, la volonté n’a pas pour but de posséder les choses nécessaires à nos besoins, si l’on prend le terme de volonté[2] dans son sens propre et non dans un sens abusif. Sans doute nous jugeons convenable de nous procurer les choses nécessaires, comme en général nous évitons les maux. Mais les éviter n’est pas l’objet de notre volonté : ce serait plutôt de ne pas avoir besoin de les éviter. C’est ce qui a lieu, par exemple, quand on possède la santé et quand on est exempt de souffrance. Lequel de ces avantages nous attire vers lui ? Tant qu’on jouit de la santé, tant qu’on ne souffre pas, on y attache peu de prix. Or, des avantages qui, présents, n’ont nul attrait pour l’âme et n’ajoutent rien à son bonheur, qui, absents, sont recherchés à cause de la souffrance qui naît de la présence de leurs contraires, doivent raisonnablement être appelés des choses nécessaires plutôt que des biens et ne pas être comptés au nombre des éléments de notre fin. Lorsqu’ils sont absents et remplacés par leurs

  1. Creuzer déclare que le texte de cette phrase est inintelligible ; nous donnons le sens probable.
  2. Voy. Enn. VI, liv. viii.