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PREMIÈRE ENNÉADE.

heureuse doit être une vie conforme à notre volonté. Le sage n’est pas seulement une âme douée de certaines dispositions ; il faut aussi comprendre le corps dans sa personne[1]. Il semble naturel d’admettre cette assertion en tant que les passions du corps sont ressenties par l’homme même, et qu’elles lui suggèrent des désirs et des aversions. Si donc le plaisir est un élément du bonheur, comment l’homme affligé par les coups du sort et par les douleurs pourra-t-il encore être heureux, lors même qu’il serait vertueux ? Les dieux n’ont besoin pour être bienheureux que de jouir de la vie parfaite ; mais les hommes, ayant leur âme unie à une partie inférieure, doivent chercher leur bonheur dans la vie de chacune des deux parties qui les composent, et non dans celle de l’une des deux exclusivement, quoiqu’elle soit supérieure à l’autre. En effet, dès que l’une d’elles souffre, nécessairement l’autre se trouve, malgré sa supériorité, entravée dans ses actes. Autrement, il faut ne tenir compte ni du corps, ni des sensations qui en proviennent, et ne rechercher que ce qui peut, indépendamment du corps, suffire par soi-même pour procurer le bonheur.

VI. Si la raison faisait consister le bonheur à être exempt de douleur, de maladie, à ne pas éprouver de revers ni de grandes infortunes, il nous serait impossible de goûter le bonheur quand nous serions exposés à quelqu’un de ces maux. Mais si le bonheur est la possession du véritable bien, pourquoi oublier ce bien pour regarder ses accessoires ? Pourquoi, dans l’appréciation de ce bien, chercher des choses qui ne sont pas comptées au nombre de ses éléments ? S’il consistait à réunir, avec les biens véritables, des choses

  1. Ce passage est une allusion non-seulement à la doctrine des Péripatéticiens, mais encore à celle des Pythagoriciens, comme le prouvent ces mots d’Archytas, cités par Stobée, Florileg., tit. i, § 76, p. 43, éd. Gaisford : ὁ δὲ ἄνθρωπος οὐϰ ἁ ψυχὰ μόνον, ἀλλὰ ϰαὶ τὸ σῶμα· τὸ γὰρ ἐξ ἀμφοτέρων ζῶον, ϰαὶ τὸ ἐϰ τοιούτων ἄνθρωπος.