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LIVRE QUATRIÈME.

férieur : il est uni à ce qu’il y a de meilleur ; il a donc la plénitude de la vie. S’il est vertueux, il est pleinement heureux, il possède pleinement le bien : car il n’est pas de bien qu’il ne possède. Ce qu’il cherche, il le cherche par nécessité, moins pour lui que pour quelqu’une des choses qui lui appartiennent : il le cherche pour le corps qui lui est uni ; et quoique ce corps soit doué de vie, ce qui se rapporte à ses besoins n’est pas propre à l’homme véritable. Celui-ci le sait, et ce qu’il accorde à son corps, il l’accorde sans s’écarter en rien de la vie qui lui est propre. Son bonheur ne diminuera donc pas dans l’adversité, parce qu’il continue à posséder la vie véritable. S’il perd des parents, des amis, il sait ce que c’est que la mort, et d’ailleurs, ceux qu’elle frappe le savent aussi s’ils sont vertueux. Si le sort de ces parents, de ces amis l’afflige, l’affliction n’atteindra pas la partie intime de son être ; elle ne se fera sentir qu’à cette partie de l’âme qui est privée de raison et dont il ne partagera pas les souffrances.

V. Mais, dira-t-on, ne faut-il pas tenir compte des douleurs du corps, des maladies, des obstacles qui peuvent entraver l’action, du cas où l’homme perdrait la conscience de lui-même, ce qui peut arriver par l’effet de certains philtres, de certaines maladies[1] ? Comment le sage pourra-t-il, dans tous ces cas, bien vivre et être heureux ? Et encore ne parlons-nous pas de la pauvreté, de l’obscurité de condition. En considérant tous ces maux, et surtout en y ajoutant les infortunes si fameuses de Priam[2], on pourra faire de bien graves objections. En effet, le sage supportât-il tous ces maux (et il les supporterait facilement), ils n’en seraient pas moins contraires à sa volonté : or la vie

  1. Plotin a surtout en vue ici la doctrine des Péripatéticiens : c’est à leurs objections qu’il répond. Voy. Aristote, Éthiq. à Nicomaque, liv. vii, 13 ; Sextus Empiricus, Hypotyp. pyrrhon., liv. iii, 180 ; Stobée, Eclog., liv. ii, 7.
  2. Voy. Aristote, Éthiq. à Nicom., liv. i, 10, 14.