Page:Plotin - Ennéades, t. I.djvu/217

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
76
PREMIÈRE ENNÉADE.

IV. Si l’homme est capable de posséder la vie parfaite, il est heureux dès qu’il la possède ; s’il en était autrement, si aux dieux seuls appartenait la vie parfaite, à eux seuls aussi appartiendrait le bonheur. Mais puisque nous attribuons le bonheur aux hommes, nous avons à montrer en quoi consiste cette vie qui le procure. Or, je le répète : l’homme a la vie parfaite quand il possède, outre la vie sensitive, la raison et la véritable intelligence ; cela est évident d’après les démonstrations que nous en avons données. Mais l’homme est-il par lui-même étranger à la vie parfaite et la possède-t-il comme une chose étrangère [à son essence] ? Non, il n’y a pas d’homme qui ne possède soit en acte, soit en puissance, ce que nous appelons le bonheur. Mais regarderons-nous le bonheur comme une partie de l’homme et dirons-nous qu’il est en lui la forme parfaite de la vie? ou ne penserons-nous pas plutôt que celui qui est étranger à la vie parfaite ne possède qu’une partie du bonheur puisqu’il ne le possède qu’en puissance, mais que celui-là seul est vraiment heureux qui possède en acte la vie parfaite et qui en est arrivé à s’identifier avec elle ? Toutes les autres choses ne font plus que l’envelopper[1] et ne sauraient être regardées comme parties de lui-même, puisqu’elles l’enveloppent malgré lui. Elles lui appartiendraient comme parties de lui-même si elles lui étaient jointes par l’effet de sa volonté. Qu’est-ce que le bien pour l’homme qui se trouve dans cet état ? Il est son bien à lui-même par la vie parfaite qu’il possède. Le principe [le Bien en soi] qui est supérieur [à la vie parfaite] est la cause du bien qui est en lui : car autre chose est le Bien en soi et le bien dans l’homme.

Ce qui prouve que l’homme parvenu à la vie parfaite possède le bonheur, c’est que dans cet état il ne désire plus rien. Que pourrait-il désirer ? Il ne saurait désirer rien d’in-

  1. Περιϰεῖσθαι, expression des Stoïciens.