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PREMIÈRE ENNÉADE.

le sentiment dans la connaissance de l’affection éprouvée, il faut que cette affection soit déjà un bien avant que la connaissance en ait lieu : il faut, par exemple, que l’être soit dans un état conforme à la nature, lors même qu’il l’ignore, qu’il remplisse sa fonction propre, lors même qu’il ne le sait pas, qu’il possède la volupté avant de la percevoir. Ainsi, comme, en possédant cette volupté, l’être possède déjà le bien, il possède par là même le bien-être. Pourquoi donc y joindre le sentiment ? à moins qu’au lieu de faire consister le bien dans une affection, dans un état de l’âme, on ne le place plutôt dans le sentiment et dans la connaissance [de cette affection, de cet état].

On ramène ainsi le bien à n’être que le sentiment, l’acte de la vie sensitive, et, dans ce cas, pour le posséder, il suffit de percevoir, quel que soit l’objet de notre perception. Dira-t-on que le bien résulte de la réunion de ces deux choses, de l’état de l’âme et de la connaissance qu’elle en a : s’il consiste dans le sentiment de tel ou tel état, nous demanderons comment des éléments qui par eux-mêmes sont indifférents peuvent par leur réunion constituer le bien. Veut-on que le bien soit tel ou tel état, que bien vivre consiste à posséder telle ou telle disposition et à connaître qu’on jouit de la présence du bien, voici la question que nous poserons alors : suffit-il pour bien vivre que l’être sache qu’il possède cet état, ou bien faut-il qu’il sache non-seulement que cet état est agréable, mais encore que c’est le bien ? S’il faut connaître que c’est le bien, ce n’est plus la fonction du sentiment, mais d’une faculté supérieure aux sens : ainsi, pour bien vivre, il ne suffira plus de posséder la volupté, il faudra encore savoir que la volupté est le bien ; la cause du bonheur ne sera donc pas la présence de la volupté même, mais le pouvoir de juger que la volupté est un bien. Or, ce qui juge est supérieur à l’affection : c’est la raison ou l’intelligence, tandis que la volupté n’est qu’une affection, et ce qui est irraisonnable ne