toute leur carrière est parcourue et que leur vie est remplie du commencement à la fin.
On verra peut-être avec peine accorder le bonheur aux êtres vivants autres que l’homme, et l’on objectera sans doute qu'on est ainsi conduit à raccorder aux êtres les plus vils, aux plantes mêmes : car elles vivent aussi, et leur vie a aussi une fin, qu'elles aspirent à atteindre par leur développement. Mais, d'abord, il semblerait peu raisonnable[1] de dire que les êtres vivants autres que l'homme ne peuvent posséder le bonheur par cette seule raison qu'ils nous paraissent des êtres vils ; et d'ailleurs, on peut fort bien refuser aux plantes ce qu'on accorde aux autres êtres vivants, en donnant pour motif à cette exclusion que les plantes ne sont pas douées de sentiment. Il y aura peut-être des hommes qui accorderont aux plantes le bonheur, en se fondant sur ce qu'on leur accorde la vie : car du moment qu'un être vit, il peut vivre bien ou mal ; c'est ainsi qu'il arrivera aux plantes de posséder ou de ne pas posséder le bien-être, de porter ou de ne pas porter de fruits. Si la volupté est la fin de l'homme[2], si bien vivre consiste à en jouir, il serait absurde de prétendre que les êtres vivants autres que l'homme ne sauraient bien vivre. Il en est de même si l'on réduit le bonheur à l’ataraxie [c'est-à-dire à un état de tranquillité imperturbable][3], ou si on le fait consister à vivre conformément à la nature[4].
II. Ceux qui refusent aux végétaux le privilége de bien vivre, parce qu'ils ne sentent pas, ne sont pas pour cela obligés de l'accorder à tous les animaux. S'ils font consister
- ↑ Les Mss. portent, les uns δόξει, les autres οὐ δόξει. Creuzer préfère οὐ δόξει, Taylor, dans sa traduction, supprime la négation. Il ne nous a pas non plus paru nécessaire de l'introduire.
- ↑ C'était, on le sait, la doctrine d'Aristippe, etc.
- ↑ C'était le bien suprême selon Épicure. Voy. Diogène Laerce, liv. x, p. 128, 131, 136 ; et Cicéron, De Finibus, liv. i, § 14, 46.
- ↑ C'était la formule des Stoïciens. Voy. Cicéron, De Finibus, liv. iv, § 11, 26 : « Naturœ congruentur vivere. »