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LIVRE TROISIÈME.

qu’elles modèrent les passions]. Les autres vertus[1] impliquent aussi l’application de la raison aux passions et aux actions qui sont propres à chacune d’elles ; seulement la prudence y applique la raison d’une manière supérieure : elle s’occupe plus de l’universel ; elle considère si les vertus s’enchaînent les unes aux autres, s’il faut faire présentement une action, ou la différer, ou en choisir une autre[2]. Or, c’est la dialectique, c’est la science qu’elle donne, la sagesse, qui fournit à la prudence, sous une forme générale et immatérielle, tous les principes dont celle-ci a besoin.

Ne pourrait-on sans la dialectique, sans la sagesse, posséder même les connaissances inférieures ? Elles seraient du moins imparfaites et mutilées. D’un autre côté, bien que le dialecticien, le vrai sage n’ait plus besoin de ces choses inférieures, il ne serait jamais devenu tel sans elles ; elles doivent précéder, et elles s’augmentent avec le progrès qu’on fait dans la dialectique. Il en est de même pour les vertus : on peut posséder d’abord les vertus naturelles, puis s’élever, avec le secours de la sagesse, aux vertus parfaites. La sagesse ne vient donc qu’après les vertus naturelles ; alors elle perfectionne les mœurs ; ou plutôt, lorsque les vertus naturelles existent déjà, elles s’accroissent et se perfectionnent avec elle. Du reste, celle de ces deux choses qui précède donne à l’autre son complément. En général, avec les vertus naturelles, on n’a qu’une vue [une science] imparfaite et des mœurs également imparfaites, et ce qu’il y a de plus important pour les perfectionner, c’est la connaissance philosophique des principes d’où elles dépendent.


  1. Voy. Ennéade I, liv. ii, § 3-6.
  2. Voy., § 7. Plotin paraît avoir emprunté à Aristote ce qu’il dit ici de la prudence. Voy. Morale, liv. i, 34, 35 ; Éth. à Nicom., liv. vi, 8, 11.