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PREMIÈRE ENNÉADE.

thode qui lui donne la réalité en même temps que l’idée. Quant à l’erreur et au sophisme, elle ne s’en occupe qu’accidentellement ; elle les juge comme choses étrangères à son domaine, produites par un principe qui lui est étranger. Lorsqu’on avance quelque chose de contraire à la règle du vrai, elle reconnaît l’erreur à la lumière des vérités qu’elle porte en elle. Pour les propositions, elle n’en fait pas l’objet de son étude : ce ne sont pour elle que des assemblages de lettres ; cependant, sachant le vrai, elle sait aussi ce qu’on appelle proposition, et, en général, elle connaît les opérations de l’âme : elle sait ce que c’est qu’affirmer, nier, ce que c’est que faire des assertions contradictoires ou contraires ; elle sait enfin si on avance des choses différentes ou identiques, saisissant le vrai par une intuition instantanée comme l’est celle des sens ; mais elle laisse à une autre étude qui se plaît dans ces détails le soin d’en parler avec exactitude.

VI. La dialectique n’est donc qu’une partie de la philosophie, mais elle en est la partie la plus éminente. En effet, la philosophie a d’autres branches. D’abord, elle étudie la nature [Physique][1], et pour cela elle emprunte le secours de la dialectique comme les autres arts celui de l’arithmétique, quoique la philosophie doive bien plus à la dialectique. Ensuite, la philosophie traite des mœurs : ici encore, c’est la dialectique qui pose les principes ; la Morale n’a plus qu’à en faire naître les bonnes habitudes et à conseiller les exercices qui les engendrent. Il en est de même des vertus rationnelles[2] : c’est à la dialectique qu’elles doivent les principes qui semblent leur appartenir en propre ; car le plus souvent elles s’occupent des choses matérielles [parce

  1. Plotin suit ici la division platonicienne de la philosophie en trois parties. Physique, Morale, Dialectique.
  2. Αἱ λογιϰαὶ ἔξεις. L’expression de Plotin semble faire allusion à la distinction établie par Aristote entre les vertus morales et les vertus de l’entendement. Voy. M. Ravaisson, Essai sur la Métaphysique d’Aristote, t. ii, p. 457.