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LIVRE TROISIÈME.

arguments qui le conduisent à reconnaître des vérités qu’il ignorait tout en les possédant instinctivement. Quels sont ces arguments, c’est ce que nous dirons plus tard[1].

II. L’Amant, au rang duquel le musicien peut s’élever, soit pour rester à ce rang, soit pour monter plus haut encore, l’amant a quelque réminiscence du beau ; mais comme il en est séparé ici-bas, il est incapable de bien savoir ce que c’est. Charmé des beaux objets qui s’offrent à sa vue, il s’extasie devant eux. Il faut donc lui apprendre à ne pas se contenter d’admirer ainsi un seul corps, mais à embrasser par la raison tous les corps où se rencontre la beauté, lui montrer ce qu’il y a d’identique dans tous, lui dire que c’est quelque chose d’étranger aux corps, qui vient d’ailleurs, et qui même se trouve à un plus haut degré dans des objets d’une autre nature, en citant pour exemples de nobles occupations, de belles lois ; on lui montrera que le beau se retrouve encore dans les arts, les sciences, les vertus, tous moyens de familiariser l’amant avec le goût des choses incorporelles. On lui fera voir ensuite que le beau est un et on lui montrera ce qui dans chaque chose constitue la beauté. Des vertus, on l’élèvera à l’Intelligence, à l’Être ; arrivé là, il n’a plus qu’à marcher vers le but suprême.

III. Quant au Philosophe, il est naturellement disposé à s’élever au monde intelligible. Il s’y élance porté par des ailes légères, sans avoir besoin, comme les précédents, d’apprendre à se dégager des objets sensibles. Il peut seulement être incertain sur la route à suivre et avoir besoin d’un guide. Il faut donc lui montrer la route ; il faut aider à se détacher entièrement des choses sensibles cet homme qui déjà le désire de lui-même, et qui depuis longtemps en est détaché par sa nature. Pour cela, on l’appliquera aux ma-

  1. Voy. ci-après les § 4, 5 et 6, ainsi que le livre Du Beau (livre vi de cette Ennéade).