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PREMIÈRE ENNÉADE.

d’eux d’une méthode particulière ? Oui, sans doute. Il y a deux méthodes à suivre : l’une pour ceux qui s’élèvent d’ici-bas au monde intelligible, l’autre pour ceux qui y sont déjà parvenus. C’est par la première de ces deux méthodes que l’on débute ; vient ensuite celle des hommes qui sont déjà parvenus dans le monde intelligible et qui y ont pour ainsi dire pris pied. Il faut que ceux-ci avancent sans cesse jusqu’à ce qu’ils soient arrivés au sommet : car on ne doit s’arrêter que quand on a atteint le terme suprême.

Mais laissons en ce moment la seconde de ces deux marches[1], pour nous occuper de la première, et essayons de dire comment peut s’opérer le retour de l’âme au monde intelligible.

Trois espèces d’hommes s’offrent à notre examen : le Philosophe, le Musicien, l’Amant. Il nous faut les bien distinguer entre eux, en commençant par déterminer la nature et le caractère du Musicien.

Le Musicien se laisse facilement toucher par le beau et est plein d’admiration pour lui ; mais il n’est pas capable d’arriver par lui seul à l’intuition du beau : il faut que des impressions extérieures viennent le stimuler. De même que l’être craintif est réveillé par le moindre bruit, le musicien est sensible à la beauté de la voix et des accords ; il évite tout ce qui lui semble contraire aux lois de l’harmonie et de l’unité et recherche le nombre et la mélodie dans les rhythmes et les chants. Il faudra donc qu’après ces intonations, ces rhythmes et ces airs purement sensibles, il en vienne à séparer dans ces choses la forme de la matière et à considérer la beauté qui se trouve dans leurs proportions et leurs rapports ; il faudra lui enseigner que ce qui dans ces choses excite son admiration, c’est l’harmonie intelligible, la beauté qu’elle enferme, en un mot le beau absolu, et non telle ou telle beauté. Il faudra enfin emprunter à la philosophie des

  1. Il revient sur ce sujet dans l’Ennéade V, liv. i, § 1.