Page:Plotin - Ennéades, t. I.djvu/200

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
59
LIVRE DEUXIÈME.

taires de l’imagination[1]. En un mot, l’âme sera pure de toutes ces passions et voudra même purifier la partie irrationnelle de notre être de manière à la préserver des émotions, ou du moins à diminuer le nombre et l’intensité de ces émotions et à les apaiser promptement par sa présence. C’est ainsi qu’un homme placé auprès d’un sage profite de ce voisinage, soit en lui devenant semblable, soit en craignant de rien faire que ce sage puisse désapprouver. Cette influence de la raison s’exercera sans lutte et sans contrainte : il suffit en effet qu’elle soit présente ; le principe inférieur la respectera au point de se fâcher contre lui-même et de se reprocher sa propre faiblesse, s’il éprouve quelque agitation qui puisse troubler le repos de son maître.

VI. L’homme parvenu à l’état que nous venons de décrire ne commet plus de fautes pareilles : il en est corrigé. Mais le but auquel il aspire, ce n’est point de ne pas faillir, c’est d’être dieu. S’il laisse encore se produire en lui quelqu’un des mouvements irréfléchis dont nous avons parlé, il sera à la fois dieu et démon[2] ; il sera un être double, ou plutôt il aura en lui un principe d’une autre nature[3], dont la vertu différera également de la sienne. Si, au contraire, il n’est plus troublé par aucun de ces mouvements, il sera uniquement dieu ; il sera un de ces dieux qui forment le cortége du Premier[4]. C’est un dieu de cette nature qui est venu d’en haut habiter en nous. Redevenir ce qu’il était originairement, c’est vivre dans ce monde supérieur. Celui qui s’est élevé jusque-là habite avec l’intelligence pure et s’y assimile autant que possible. Aussi n’éprouve-t-il plus aucune de ces émotions, ne fait-il aucune

  1. Tout ce passage se trouve reproduit presque littéralement et éclairci par Porphyre dans ses Ἀφορμαὶ πρὸς τὰ νοητά, § 34.
  2. Sur la différence des dieux et des démons, Voy. Plotin, Enn. III, liv. iv, et Proclus, Comment. sur l'Alcib., p. 31, 67, 90, 123.
  3. L'Intelligence.
  4. Allusion à un passage de Platon, Phèdre, p. 246.