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LIVRE DEUXIÈME.

vertus d’un autre ordre), rien n’empêche que, sans nous assimiler à Dieu par les vertus civiles, nous devenions, par des vertus qui cependant sont nôtres, semblables à l’être qui ne possède pas la vertu. Comment cela peut-il avoir lieu ? Le voici : quand un corps est échauffé par la présence de la chaleur, est-il nécessaire que le corps d’où provient la chaleur soit échauffé lui-même par un autre ? Si un corps est chaud par l’effet de la présence du feu, faut-il que le feu soit lui-même échauffé par la présence d’un autre feu ? On dira peut-être d’abord : il y a de la chaleur dans le feu, mais une chaleur innée ; d’où l’on doit conclure par voie d’analogie que la vertu, qui n’est qu’adventice dans l’âme, est innée dans Celui de qui l’âme la tient par imitation [dans Dieu]. À l’argument tiré du feu, on répondra peut-être encore que Dieu possède la vertu, mais une vertu d’une nature supérieure[1]. Cette réponse serait juste, si la vertu à laquelle l’âme participe était identique au principe dont elle la tient ; mais il y a tout au contraire opposition complète : quand nous voyons une maison, la maison sensible n’est pas identique à la maison intelligible, quoiqu’elle lui soit semblable. En effet la maison sensible participe à l’ordre et à la proportion, tandis que l’on ne saurait attribuer à l’idée de cette maison ni ordre, ni proportion, ni symétrie. De même nous tenons de Dieu l’ordre, la proportion, l’harmonie, conditions de la vertu ici-bas, sans que l’Intelligence suprême ait besoin de posséder elle-même ni ordre, ni proportion, ni harmonie. Il n’est donc pas nécessaire qu’elle possède la vertu, quoique ce soit par la vertu que nous lui

  1. Tout ce passage est assez obscur. Nous suivons l'interprétation de Ficin qui, dans sa traduction, donne la forme interrogative à toute cette phrase: Εἴ τε θερμότητος παρουσίᾳ… θερμαίνεσθαι, quoique le texte porte la forme affirmative, et qui justifie ce changement dans son Commentaire. — Du reste, le but de l'auteur ne peut être douteux : c'est d'établir que la cause ne possède pas nécessairement les mêmes qualités que l'effet. Voy. Enn. II, liv. vi, § 3.