Page:Plotin - Ennéades, t. I.djvu/181

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
40
PREMIÈRE ENNÉADE.

exemple celui d’une ligne et de la couleur blanche, c’est-à-dire de deux natures hétérogènes, il faut encore rechercher quel est le mode de ce mélange. Si l’on suppose l’âme répandue dans le corps, il ne s’ensuit pas qu’elle en partage les passions : car ce qui est répandu dans une substance peut rester impassible ; donc l’âme, tout en pénétrant le corps, peut être étrangère à ses passions, comme la lumière, partout répandue, n’en demeure pas moins impassible[1]. Ainsi, pour être répandue par tout le corps, l’âme ne doit pas nécessairement en subir les passions.

L’âme sera-t-elle dans le corps comme la forme est dans la matière ? Alors, en sa qualité d’essence et surtout de cause qui se sert du corps comme d’un instrument, elle y sera une forme séparable. Si elle est dans le corps comme la figure est dans le fer pour constituer avec lui une hache et lui donner, par la vertu qui lui est propre, le pouvoir de faire ce que fait le fer ainsi façonné, nous aurons une raison de plus pour attribuer au corps les passions communes : elles appartiendront au corps vivant, à ce corps naturel organisé qui possède la vie en puissance[2]. Car, « s’il est absurde, comme l’a dit Platon[3], de prétendre que c’est l’âme qui tisse, » il n’est pas plus raisonnable de dire que c’est elle qui désire, qui s’afflige ; c’est bien plutôt à l’animal qu’il faut rapporter tout cela.

  1. Voy. Enn. IV, liv. iii, § 20-22.
  2. Cette définition rappelle la définition qu’Aristote donne de l’âme : ψυχή ἐστιν ἐντελέχεια ἡ πρώτη σώματος φυσικοῦ (ὀργανικοῦ) δυνάμει ζωὴν ἔχοντος. De l’Âme, liv. ii, § 1. La comparaison de la hache est également tirée d’Aristote et se trouve dans le même livre.
  3. Il y a dans le grec seulement φησί, dit-il, ce qui équivaut au célèbre Magister dixit de l’École. C’est ainsi, en effet, que s’exprime Plotin toutes les fois qu’il fait une citation de Platon, qui était l’oracle de l’école néo-platonicienne. Du reste, Plotin ne nomme presque jamais l’auteur dont il discute l’opinion. — Le passage de Platon auquel il est fait allusion ici se trouve dans le Phédon, p. 87 de l’éd. de H. Étienne, p. 66 de l’édition de Bekker ; t. I, p. 254 de la traduction de M. Cousin.