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PREMIÈRE ENNÉADE.

Quant à la pensée, il reste à examiner si nous ne l’attribuerons pas à l’âme. C’est aussi une question de savoir si le plaisir pur convient à l’âme tant qu’elle reste isolée[1].

III. Supposons l’âme, comme le veut sa nature, placée dans le corps, soit au-dessus de lui, soit en lui, et formant avec lui ce tout qu’on nomme l’animal[2]. Dans ce cas, l’âme, en se servant du corps comme d’un instrument, n’est pas forcée de participer à ses passions, pas plus que les artisans ne participent à ce qu’éprouvent leurs instruments. Quant aux sensations, il est nécessaire qu’elle les perçoive, puisque, pour se servir de son instrument, il faut qu’elle connaisse, au moyen de la sensation, les modifications que cet instrument peut recevoir du dehors. C’est ainsi que l’âme se sert des yeux pour voir et qu’elle ressent en même temps les maux qui peuvent affecter la vue. Il en est de même pour les autres douleurs, pour toutes les souffrances, et en général pour tout ce qui peut arriver au corps ; il en est de même enfin des appétits, qui naissent du besoin que l’âme a de recourir au ministère du corps[3].

Comment alors les passions pourront-elles passer du corps dans l’âme ? Le corps peut bien communiquer à un autre corps ses propriétés ; mais comment les communiquera-t-il à l’âme ? C’est comme si on supposait qu’un individu souffre quand un individu tout différent est affecté.

En effet, tant que l’on considère l’âme comme le principe qui se sert du corps et le corps comme l’instrument de l’âme, il y a entre eux séparation[4], cette séparation qui s’o-

  1. Pour l’intelligence de toute cette discussion, Voy. ci-dessus le fragment de Porphyre Des Facultés de l’âme humaine (p. lxxxvii), les citations de Jamblique et de K. Steinhart (p. cxi, note 2 ; p. cxii, note 1), et à la fin de ce volume la Note sur les Facultés de l’âme humaine (p. 324-355) avec les extraits de Ficin (p. 390).
  2. Sur la nature animale (τὸ ζῶον, τὸ σύνθετον, τὸ συναμφότερον, τὸ ϰοιϰόν, τὸ εἴδωλον), Voy. p. 362.
  3. Sur les rapports de l’âme avec le corps, Voy. p. 355.
  4. Sur la séparation de l’âme et du corps, Voy. p. 380.