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PAR PORPHYRE.

tère de son écriture n’était pas beau. Il ne séparait pas les mots et faisait très-peu d’attention à l’orthographe : il n’était occupé que des idées. Il fut continuellement jusqu’à sa mort dans cette habitude, ce qui était pour nous tous un sujet d’étonnement. Lorsqu’il avait fini de composer quelque chose dans sa tête, et qu’ensuite il écrivait ce qu’il avait médité, il semblait qu’il copiât un livre. En conversant et en discutant, il ne se laissait pas distraire de l’objet de ses pensées, en sorte qu’il pouvait à la fois satisfaire aux besoins de l’entretien et poursuivre la méditation du sujet qui l’occupait. Lorsque son interlocuteur s’en allait, il ne relisait pas ce qu’il avait écrit avant la conversation (c’était pour ménager sa vue, comme nous l’avons déjà dit) ; il reprenait la suite de sa composition comme si la conversation n’eût mis aucun intervalle à son application. Il pouvait donc tout à la fois vivre avec lui-même et avec les autres. Il ne se reposait jamais de cette attention intérieure ; elle cessait à peine durant un sommeil troublé souvent par l’insuffisance de la nourriture (car parfois il ne prenait pas même de pain) et par cette concentration perpétuelle de son esprit.

IX. Il y avait des femmes qui lui étaient fort attachées : Gémina, chez laquelle il demeurait, la fille de celle-ci, qu’on appelait aussi Gémina, Amphiclée, femme d’Ariston, fils d’Iamblique, toutes trois aimant beaucoup la philosophie. Plusieurs hommes et plusieurs femmes de condition, étant près de mourir, lui confièrent leurs enfants de l’un et de l’autre sexe avec tous leurs biens, comme à un dépositaire irréprochable, ce qui faisait que sa maison était remplie de jeunes garçons et de jeunes filles. De ce nombre était Polémon, que Plotin élevait avec soin : il prenait plaisir à entendre ce jeune homme lire des vers de sa composition[1]. Il examinait avec soin les comptes des tuteurs, et il veillait à ce que ceux-ci fussent économes ; il disait que jusqu’à ce que ces jeunes gens s’adonnassent tout entiers à la philosophie, il fallait leur conserver leurs biens et les faire

  1. Nous adoptons la correction de Creuzer qui propose de lire avec Wyttenbach : Πολέμων (Voy. § 11) μέτρα ποιοῦντος, au lieu de : Ποτάμων... μετὰ ποιοῦντος ; mots qui n’offrent pas de sens raisonnable.