Page:Plotin - Ennéades, t. I.djvu/138

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
CXXXIII
DEUXIÈME ENNÉADE, LIVRE IX.

(IX-XII) Les Gnostiques ont tort de ne pas vouloir reconnaître que l’univers manifeste la puissance divine, de s’imaginer qu’ils ont une nature supérieure, non-seulement à celle des autres hommes, mais encore à celle des astres, de croire enfin qu’ils ont le privilége d’entrer seuls en communication avec le Bien [Bythos] et de jouir exclusivement de sa grâce. On ne peut voir sans étonnement avec quelle jactance ces hommes se vantent de posséder la science parfaite des choses divines : car il est facile de montrer combien leur doctrine soulève d’objections. En voici le résumé :

« L’Âme [Sophia supérieure] a incliné, c’est-à-dire a illuminé les ténèbres de la matière. De cette illumination de la matière est née la Sagesse [Achamoth] qui a incliné aussi. Les membres de la Sagesse [les natures pneumatiques] sont descendus en même temps ici-bas pour entrer dans des corps. En outre, après avoir conçu la Raison du monde ou la Terre étrangère, la Sagesse a créé et produit des images psychiques [les natures psychiques]. C’est ainsi qu’elle a donné naissance au Démiurge, qui est composé de matière et d’une image. Ce Démiurge lui-même, s’étant séparé de sa mère, a fait les êtres corporels à l’image des êtres intelligibles [des Éons]. Il a formé successivement le feu et les trois autres éléments, les astres, le globe terrestre, enfin toutes les choses qui étaient contenues dans le type du monde.

Si l’on examine attentivement en quoi consiste cette illumination des ténèbres par laquelle les Gnostiques expliquent la création de toutes choses, on peut amener ces hommes à reconnaître les vrais principes du monde, les forcer d’avouer que tous les êtres ont reçu des premiers principes leur matière aussi bien que leur forme, et que les ténèbres sont nées du monde intelligible comme la lumière elle-même.

(XIII) On n’a donc pas le droit de se plaindre de la nature du monde puisqu’un enchaînement étroit unit les choses du premier, du second et du troisième rang, et descend jusqu’à celles du plus bas degré. Le mal n’est que ce qui, par rapport à la sagesse, est moins complet, moins bon, en suivant toujours une échelle décroissante.

(XIV) Non-seulement les Gnostiques méprisent le monde visible, mais ils prétendent par leur puissance magique commander aux êtres intelligibles aussi bien qu’aux démons. Leur but unique est d’imposer au vulgaire par leur jactance. Les gens sages ne sauraient donc trouver aucun profit à étudier un pareil système.

(XV) La morale des Gnostiques est encore pire que la doctrine qu’ils enseignent sur Dieu et sur l’univers. Ils refusent tout respect aux lois établies ici-bas et prétendent que les actions ne sont bonnes ou mauvaises que d’après l’opinion des hommes. Aux préceptes de vertu que nous ont légués les anciens, ils veulent substituer cette maxime : « Contemple Dieu. » Mais rien n’empêche de s’abandonner aux passions, comme ils le font, tout en contemplant Dieu. Sans la véritable vertu, Dieu n’est qu’un mot.