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CXXXII
SOMMAIRES.

(III) Il est dans la nature des trois hypostases de communiquer chacune quelque chose de leurs perfections aux êtres inférieurs. Il en résulte que ces êtres sont perpétuellement engendrés par les trois hypostases. La matière elle-même existe de tout temps parce qu’elle résulte nécessairement des autres principes ; de tout temps aussi elle reçoit du monde intelligible les formes qui constituent les êtres sensibles. Elle n’est donc pas, comme l’imaginent les Gnostiques, une nature qui ait été créée à un moment déterminé et qui doive périr[1] ; elle n’occupe pas non plus une région qui soit entièrement séparée du monde intelligible par une limite infranchissable [l’Horus de Valentin[2]].

(IV) Les vérités précédentes ont été complètement méconnues par les Gnostiques. Ils prétendent que l’Âme [Achamoth] a créé par suite d’une chute, qu’elle s’est repentie, et qu’elle détruira le monde dès que les âmes individuelles auront accompli leur œuvre ici-bas[3] : car, dans ce système, le monde n’est qu’une œuvre imparfaite.

(V) Les Gnostiques croient que leur âme est d’une nature supérieure aux âmes des astres et à l’âme du Démiurge, laquelle est, selon eux, composée des éléments. Ils enseignent aussi qu’il existe un principe intermédiaire entre le monde intelligible et le monde sensible, et ils lui donnent les noms de Terre nouvelle et de Raison du monde. Ils disent qu’ils ont reçu dans leurs âmes une émanation de ce principe, et qu’ils iront se réunir à lui après leur mort. Mais on ne voit pas bien si, dans leur système, ce principe est antérieur ou postérieur à la création du monde, ni comment il est nécessaire au salut des âmes.

(VI) Les Gnostiques parlent encore d’empreintes, d’exils, de repentirs, de jugements, de métensomatoses. Tous ces mots pompeux ne servent qu’à déguiser les emprunts qu’ils ont faits à Platon. C’est à Platon qu’ils ont pris tout ce qu’ils enseignent sur le Premier [l’Un], sur l’existence du monde intelligible, sur l’immortalité de l’âme et sur la nécessité de la séparer du corps. Mais, en même temps ils défigurent la doctrine du sage auquel ils sont si redevables : ils font de l’Intelligence divine plusieurs hypostases [Noûs, Logos] ; ils admettent qu’il existe en dehors de cette Intelligence d’autres essences intelligibles [les Éons]. Pour donner du crédit à leurs idées, ils cherchent à rabaisser indignement la sagesse antique des Grecs. Cependant, ces innovations dont ils sont si fiers se bornent à supposer l’existence d’un grand nombre d’Éons, à se plaindre de la constitution de l’univers, à critiquer la puissance qui le gouverne, à identifier le Démiurge avec l’Âme universelle, et à donner à cette Âme les mêmes passions qu’aux âmes individuelles.

(VII) Il y a de grandes différences entre l’Âme universelle et notre âme. Tandis que notre âme a été liée au corps involontairement, et souffre de l’union qu’elle a contractée avec lui, l’Âme universelle, au contraire, n’a pas besoin de se détourner de la contemplation du monde intelligible pour gouverner le monde sensible et lui communiquer quelque chose de ses perfections.

(VIII) Quant au monde sensible, son existence est nécessaire parce qu’il est dans la nature des principes intelligibles de créer pour manifester leur puissance. Inférieur au monde intelligible, il en offre une image aussi parfaite que possible, soit que l’on considère les astres mis en mouvement par des âmes divines, soit que l’on abaisse ses regards sur la terre où, malgré les obstacles qu’elle rencontre à l’exercice de ses facultés, notre âme peut cependant acquérir la sagesse et mener une vie semblable à celle des dieux. D’ailleurs, la justice règne ici-bas, si l’on tient compte des existences successives par lesquelles nous passons.

  1. Voy. ibid., p. 521.
  2. Ibid., p. 531.
  3. Ibid., p. 512, 518.